Critique – Patronyme – Vanessa Springora – Grasset
Avec ce second récit, Vanessa Springora continue à s’inspirer de sa vie pour livrer, cette fois-ci, une réflexion originale sur la transmission, les non-dits et, plus largement, sur ce qu’est un nom de famille, un patronyme qui est imposé à la naissance tout en constituant « le début d’une identité ».
L’origine de Springora, « nom sans homonyme », n’a jamais vraiment intéressé l’autrice, celui-ci venant d’un père ayant déserté sa vie. Elle sait juste qu’il est d’origine tchèque.
La mort de Patrick, qu’elle n’a pas revu depuis des années, va la précipiter, presque malgré elle, dans une histoire familiale dont elle ne connaissait que quelques bribes.
En pénétrant dans l’appartement où la dépouille a été retrouvée, Vanessa Springora découvre un ahurissant capharnaüm, signe du syndrome de Diogène. « La matérialisation de sa folie me saute aux yeux » écrit-elle. Fou, le père l’est certainement. Il est en effet mythomane pathologique, mégalomane, égocentrique et « maniaque de l’ordre ». « Comment a-t-il pu en arriver là ? » poursuit celle qui se souvient des délires de son géniteur qui s’inventait des vies plus belles que la sienne : espion, instigateur de la victoire de François Hollande, protagoniste de la libération d’otages français au Mali…
Même son nom n’est pas Springora mais Springer von Carlsbad !
En inspectant le fouillis paternel, la narratrice découvre les preuves de son homosexualité refoulée, et surtout, deux photos de son grand-père arborant les insignes nazis.
La légende familiale présentait pourtant l’aïeul « comme un héros, un déserteur qui aurait obéi aux Allemands et fui la dictature soviétique ».
Savoir ce que son « papy chéri » tellement doux a réellement fait dans sa jeunesse tourne à la quête quasi monomaniaque de la vérité qui l’emmène jusqu’en Tchéquie.
On ne dévoilera pas ce qu’elle va trouver. Peu importe finalement. Ce qui compte, c’est le portrait vertigineux de la Mitteleuropa pendant la première moitié du vingtième siècle et de l’impact des soubresauts de l’histoire sur les destins individuels. Et le pays devenu la République tchèque illustre parfaitement cette répercussion.
En 1912, année de naissance du grand-père alors prénommé Josef, qu’il a ensuite ensuite francisé, la Moravie, lieu où il vit le jour, est une province de l’Empire austro-hongrois. En 1918, après le démantèlement de celui-ci, la Tchécoslovaquie est créée.
En 1938, les accords de Munich remodèlent les frontières de la jeune démocratie en rattachant les Sudètes, territoire germanophone, au Troisième Reich. En 1939, Hitler annexe par la force la partie tchèque à l’Allemagne.
En 1948, avec la prise de pouvoir des communistes, « l’ancienne Tchécoslovaquie est rétablie ».
Comment construire des repères dans un tel chaos ?
Récit fascinant par son caractère obsessionnel et par la description du cheminement, semé de hasards et de coïncidences, de l’autrice, « Patronyme » exploite les thèmes de la filiation et de la transmission, non seulement d’une histoire faite de mensonges mais aussi d’un nom, et de la peur de découvrir le pire.
EXTRAITS
- Et puisque écrire, c’est habiter le monde d’une façon différente, c’est vivre à l’intérieur des mythes que l’on bâtit, je me demande ce qui distingue fondamentalement les écrivains des mythomanes.
- Ce faux-nom, cet anonymat salutaire qu’il nous a légué, c’était une ardoise magique dont il s’est servi pour s’offrir une seconde chance, une autre vie.
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