Critique – La Maison vide – Laurent Mauvignier – Minuit

Critique – La Maison vide – Laurent Mauvignier – Minuit


C’est parce qu’il veut savoir pourquoi sa grand-mère paternelle Marguerite a disparu, coupée ou griffonnée au stylo, de toutes les photos de famille et pourquoi son père s’est suicidé alors qu’il avait seize ans que Laurent Mauvignier a pris la plume pour trouver des réponses.

Armé d’informations éparses forcément déformées par les défaillances de la mémoire ou la volonté de ne pas tout dire ou d’exagérer les faits, l’auteur remonte le temps jusqu’à ses arrière-arrière-grands-parents pour combler le vide.

Tout commence dans la maison familiale achevée en 1854 vide de ses derniers habitants, mais peuplée de leurs fantômes.

Dans le grand salon trône, sous une couche de poussière, le piano de Marie-Ernestine, cet instrument qui aurait pu la sortir d’une vie toute tracée et qui portait « le deuil de son avenir ».

Je ne résumerai pas ici l’histoire qui nourrit les quelque sept cent cinquante pages de ce roman inclassable qui fait vivre cinq générations, si on inclut celle de l’écrivain.

Celui-ci réussit le tour de force, à partir de faits mal connus et probablement distordus de les reconstruire, pièce par pièce comme un puzzle, par la grâce d’une imagination sans limite en quête de vérité.

Et la réalité, vraisemblable, qu’il recompose est celle d’une transmission des malheurs et des blessures selon une mécanique implacable : celle des mariages arrangés, celle de des femmes captives d’un patriarcat oppressant et violent, celle des destins contrariés, celle des mensonges, celle des illusions qui dégénèrent en déceptions, celle de l’absence de pardon, celle des silences, celle des rêves entravés, celle des passions empêchées, celle des enfants qui grandissent sans tendresse, celle de la honte qui souille une réputation qu’on s’est employé à préserver et, plus largement, celle de la solitude comme fondement de la condition humaine.

Ce roman de la filiation est aussi le portrait de La Bassée, bourg fictif situé à quelques encablures de Tours, qui apparaît fréquemment dans l’œuvre de Laurent Mauvignier.

Dans ce patelin où tout le monde se connaît, les jalousies, les rancœurs et les commérages vont bon train.

Bien qu’elle soit perdue au milieu de nulle part, cette petite ville va être confrontée aux soubresauts de l’histoire : la Première Guerre mondiale qui engloutit les hommes et les recrache morts et transformés en héros ou la gueule cassée, broyés à jamais, qui donne aux femmes, faute de mieux, un pouvoir inespéré qui leur sera arraché sitôt la boucherie terminée ; les années 1940 qui voient la défaite de la France, l’exode des populations, l’occupation allemande, puis la victoire et les règlements de comptes entre ceux qui auraient résisté et ceux qui auraient fricoté avec l’ennemi. La vengeance prend la forme d’une balle pour les traîtres et d’une tonte des cheveux pour les femmes.

Dans une écriture précise, envoûtante, fascinante, virtuose, composée de longues phrases enveloppantes dont les dialogues sont quasiment absents au profit de l’expression des pensées intimes des protagonistes, « La Maison vide » s’inscrit dans la lignée des grands romans du 19e siècle, entre Balzac et Zola (la collection complète des « Rougon-Macquart » figurait dans la maison alors que la lecture était loin d’être un loisir familial), qui auraient rencontré Proust.

« La Maison vide » est un très grand livre, une aventure généalogique, un tombeau littéraire, qui porte un regard pénétrant sur le poids de la famille sur les existences, comme si tout était tracé à l’avance, comme si la liberté était un vœu pieux, comme si tout n’était que fatalité.

Si le récit familial que l’auteur recompose est bien le sien, il lui confère, dans un geste très littéraire, une portée universelle par son regard sur les rapports de pouvoir, sur la mémoire et sur les non-dits.

EXTRAITS

  • La préposée aux chaussettes à repriser et aux confitures n’en finit pas de rétrécir et de disparaître dans l’ombre du père.
  • Il dit combien l’art ne sert pas toujours à grandir mais parfois simplement à ne pas mourir.
  • C’est par l’invention que l’histoire peut parfois survivre à l’oubli.

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