Critique – La Bonne Mère – Mathilda Di Matteo – L’Iconoclaste

Critique – La Bonne Mère – Mathilda Di Matteo – L’Iconoclaste


Huit cents kilomètres les séparent désormais. Elles, ce sont Véronique, la mère, et Clara, la fille.

Tout les oppose et leurs relations sont parfois cyclothymiques. La première, secrétaire aux trente-cinq heures dans un HP marseillais, est cagole non-stop.

Clara, la fragile, la timide, prépare un doctorat de sociologie à Sciences Po. Celle-ci est aussi pudique que sa mère est extravertie.

Haute en couleur, grande gueule au langage fleuri et aux tenues « too much » (ce qui fait dire à sa fille qu’elle « s’habille au superlatif »), mais aussi maman poule pour son unique enfant pour laquelle elle s’inquiète, son sang ne fait qu’un tour lorsqu’elle rencontre le petit ami de sa « mine ».

« C’est un petit con » résume la matriarche pour qualifier Raphaël des Ronces, trentenaire né avec une cuillère en argent dans la bouche, ne fréquentant que des PAM (Pas Avant le Mariage) catho qu’il embarque avec lui dans la résidence secondaire familiale sise en Bretagne .

D’autres noms d’oiseau vont se succéder dans la bouche peinturlurée de rose vif de Véro, dont le plus gentil est « le girafon » en rapport avec son long cou qu’elle se plairait bien « à égorger », l’un des plus drôles étant : il a « un nez qui va qu’à Pierre Niney ».

Pour Véro, la capitale c’était forcément « le début de la fin ». Il n’y a qu’à Paris qu’une telle tuile pouvait tomber sur la tête de sa fille.

Et quand lui est présenté le « cul pincé », son aversion est manifeste, provoquant le courroux de Clara, dont l’admiration pour le bellâtre frise l’aveuglement et la servilité.

Le ping-pong entre les deux femmes peut commencer. Il s’exprime sous la forme de chapitres alternant les voix de la mère et de la fille, celle de Véronique étant évidemment la plus savoureuse

Si on rit beaucoup avec Véro et ses excès intentionnellement provocateurs, la tension monte au mitan de la narration lorsque tout se délite.

Je n’en dirai pas plus sur l’intrigue, sauf que Mathilda Di Matteo met en scène avec une grand justesse le gouffre culturel qui sépare deux milieux sociaux, un gouffre encore plus profond en raison de la surenchère des deux personnages féminins, Véro accentuant sa posture cagolesque et Clara se confortant dans son personnage de transfuge de classe rejetant les manières de ses parents.

Sans manichéisme, elle souligne la brutalité du mépris de classe (quelques exemples : regards du bien-né sur le sapin, rose bien sûr, frétillant sous le rétro de la Clio, sur « le plaid en moumoute » langoureusement étalé sur la canapé, sur la ville de Marseille, sa saleté, sa violence, sa vulgarité… ; oreilles heurtées par tous ces gens grossiers qui désacralisent notre belle langue et la prononcent avec un accent chantant en moquant le parler pointu des Parisiens ; procédés pour déprécier sa compagne malgré les efforts de celle-ci pour adopter les codes de la classe dominante), tout en insistant, contrairement à certains auteurs qui se complaisent dans le misérabilisme, sur la joie de vivre des classes populaires, dont les cagoles sont un peu l’étendard avec leur liberté insolente et, parmi elles, Véro et ses copines sont sans conteste les reines de la cagolité avec leur comportement no limit. Y compris de pisser sur une Bible pour se venger…

Enfin, elle révèle aussi la violence physique ou psychologique, ou les deux, quasi systémique qui s’exerce sur les femmes, qu’elles se prénomment Véronique, dont le caractère bien trempé nous faisait penser qu’elle était à l’abri, ou Clara, dont le cursus universitaire et le modèle de sa génitrice ne laissaient pas imaginer qu’elle serait sous l’emprise d’un pervers narcissique sadique et manipulateur. On se demande même si Raphaël n’a pas entretenu une relation avec Clara pour nourrir de son venin contempteur ses stand-up affligeants. Comme « une expérience sociologique » !

Quant à la relation mère-fille, elle est joliment dépeinte.

Car si Clara à souvent honte de Véronique, femme dont l’exubérance ne dissimule pas le grand cœur, et si celle-ci ne supporte pas ce que Clara devient, il y a beaucoup d’amour entre elles et beaucoup d’admiration réciproque.

Au-delà des différences…

EXTRAITS

  • Elle brille, autant qu’elle braille.
  • Certains disent, comme pour contrer son pouvoir, qu’elle est vulgaire. Moi, je dirais qu’elle est solaire. Un soleil de canicule, du genre incendiaire.
  • J’aurai beau m’asperger de parfum Diptyque, j’aurai toujours l’odeur des poissons du Vieux-Port sur moi.
  • Ma mère s’habille au superlatif. C’est très court, très rose, très pailleté. Très décolleté, très échancré. Très très.
  • Pour eux, femme plus accent plus Marseille font cagole.
  • Même sa sueur sentait le propre et la distinction.
  • Tu aspires trop bien le mal, ma nine.

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