Critique – Les Éléments – John Boyne – JC Lattès
Variation sur l’eau, la terre, le feu et l’air, les quatre éléments sans lesquels la vie serait impossible, le dernier roman de l’Irlandais John Boyne, propose une déclinaison sur les violences sexuelles subies par les enfants, les femmes, mais aussi, ce qui est moins abordé dans la littérature contemporaine, les hommes.
Chacune des quatre parties va approfondir un personnage et un fil rouge réunira les principaux protagonistes, dont les destins vont s’entrelacer.
« EAU » se passe sur une minuscule île de quatre cents âmes au large de l’Irlande pas encore touchée par la modernité.
Vanessa, une quinquagénaire qui a changé d’identité et s’est rasé la tête pour se faire oublier, y a trouvé refuge. Loin de Dublin.
Son époux, ancien directeur de la Fédération nationale de natation et catholique bon teint, est en prison pour avoir abusé de gamines et de sa propre fille qui s’est donné la mort en se noyant.
L’îlienne d’adoption a désormais toute latitude pour se retrouver seule avec elle-même et mener une introspection.
A-t-elle été aveugle aux événements, a-t-elle été dans le déni, a-t-elle été complice des agissements de son mari comme l’opinion publique semble le penser ainsi que Rebecca, sa cadette, avec laquelle elle est plus ou moins fâchée ? Telles sont les questions qu’elle se pose.
Dans « TERRE » est développé un personnage apparu dans « EAU ». Il s’agit d’Evan. Plutôt doué au foot et poussé par son père à devenir professionnel, il rêve d’être artiste peintre.
Cela fait quatre ans qu’il a quitté son île natale avec l’aide de sa mère pour fuir son géniteur maltraitant.
Échouant à vendre ses tableaux plutôt médiocres, il vend son corps à des hommes via un entremetteur auquel il fixe des limites à ses relations tarifées. Sauf qu’un homme célèbre d’une grande perversité sur lequel il s’est engagé à garder le secret le traite pire qu’un chien et le met en danger. Avili, humilié, brisé, il rejoint un club de foot qui lui offre une vie gavée d’argent et de luxe, mais vide de sens et d’amour.
Il devient « ami » avec Robbie, l’un des joueurs, qui lui demande de filmer ses ébats avec une jeune femme rencontrée lors d’une soirée
Quelques jours plus tard, celle-ci porte plainte pour viol.
Quant s’ouvre la deuxième partie du roman, lui et son partenaire s’apprêtent à être jugés.
« FEU » s’ouvre sur la confession de Freya, une femme qui fut jurée au procès d’Evan et Robbie : « j’avais douze ans, j’ai été enterrée vivante ». En plus de cette inhumation, elle fut violée à plusieurs reprises par des jumeaux diaboliques, ses aînés de quelques années.
Devenue chirurgienne spécialiste des grands brûlés, cette grande solitaire en colère, manipulatrice et emplie de haine pour tous les représentants du sexe dit fort emploie son temps libre à violer des adolescents.
Comme une revanche éperdue sur les traumatismes subis pendant son enfance auprès d’une mère démissionnaire qui l’a confiée à une grand-mère peu affectueuse.
Comme pour Evan, le manque d’amour a conditionné son incapacité de résilience et sa détermination à reproduire les agressions qu’elle a subies dans un cycle infernal dont elle ne peut s’échapper.
Aaron s’apprête à prendre l’avion, d’où le titre « AIR » donné à la dernière partie, avec son fils adolescent avec lequel il espère apaiser les relations.
Rappelez-vous ! Aaron est le médecin qui était en formation dans le service de Freya et qui insupportait celle-ci. Lui aussi a été abusé dans sa jeunesse. Par qui ? Vous le découvrirez.
Devenu psychologue pour enfants, il a épousé Rebecca, la fille de Vanessa qui apparaît dans « EAU ». La boucle est bouclée !
Sans fioritures, sans pathos, sans jugement manichéen, avec une froideur épurée et une grande justesse, John Boyne, qui fut lui aussi victime d’un pédocriminel, sonde avec intelligence les mécanismes des abus sexuels, et leurs conséquences sur la santé mentale des victimes directes et collatérales, dans une orchestration circulaire vertigineuse qui donne une voix à ceux qui en ont peu, y compris les hommes qui peuvent être, eux aussi, des proies.
La libération de la parole, comme on a pu le constater, entre autres, avec le mouvement #MeToo, est nécessaire pour panser ses blessures .
À condition d’être écouté et que la justice fasse son œuvre…
EXTRAIT
– Il est impératif de trouver une femme à qui imputer les crimes d’un homme.
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