Critique – Que s’obscurcissent le soleil et la lumière – Frédéric Paulin – Agullo
Dernier volet de la trilogie consacrée aux guerres du Liban, « Que s’obscurcissent le soleil et la lumière » couvre la période 1986-1990.
En s’emparant de protagonistes ayant réellement existé auxquels il adjoint des personnages de fiction inventés pour que le lecteur puisse s’identifier à leurs failles et à leurs défauts qui les rendent tellement humains, Frédéric Paulin rend une nouvelle fois l’histoire récente vivante et incarnée.
D’autant plus que le conflit dont il est question touche directement la France.
Alors que « Rares ceux qui échappèrent à le guerre » clôturait sur l’attentat de la rue de Rennes à Paris qui fit sept morts et cinquante-cinq blessés le 17 septembre 1986, « Que s’obscurcissent le soleil et la lumière » s’ouvre le même jour. Fébriles, les flics de la DST et des RG ainsi que les juges en charge de la lutte contre le terrorisme sont sur le pied de guerre.
Le gouvernement dirigé par Jacques Chirac entend bien faire porter le chapeau aux FARL dont le chef, en France, Georges Ibrahim Abdallah croupit en prison.
Or, c’est le Hezbollah, récemment créée, qui est responsable de l’attaque. Derrière ce groupe se trouve l’Iran.
Compte tenu de l’implication de la république islamique dans la prise d’otages français détenus à Beyrouth et de la proximité de l’élection présidentielle, le bons sens exige de ne pas froisser la théocratie en espérant que celle-ci libère les captifs avant le 24 avril 1988.
Le gouvernement de cohabitation ment donc au peuple en incriminant un commanditaire qui n’a rien à voir avec l’affaire de kidnapping.
La formation paramilitaire chiite n’est pas la seule à semer la terreur à Paris.
Mais là encore, l’Iran agirait en sous-main.
Action directe, faction 100% tricolore, fomente l’assassinat de Georges Besse, le patron de Renault et ancien président d’Eurodif (pour mémoire, Eurodif est une entreprise d’enrichissement d’uranium dont l’Iran détenait 10% du capital en 1974. La même année, le Shah avait également prêté un milliard de dollars à la France. À l’arrivée de Khomeini, le nouveau régime réclame le remboursement du prêt. Avec la multiplication des attentats et le rapt de Français, le gouvernement Chirac s’engage à en restituer la moitié, mais refuse le transfert d’uranium enrichi. En outre, il fournirait des armes via la Syrie) le 17 novembre. Les activistes seront mis hors d’état de nuire après leur arrestation, quelques semaines plus tard, dans une ferme du Loiret.
L’autre terrain de jeu du Hezbollah est le Liban. Et les chiites, qui s’entre-tuent, ne sont pas les seuls à enflammer le petit bout de terre de 10 000 km2 : les chrétiens qui se chamaillent, les druzes, les Palestiniens, les sunnites… Tout ce petit monde, qui forme une mosaïque, est incapable de s’entendre. D’autant plus que certains d’entre eux sont instrumentalisés par des puissances étrangères : Israël, États-Unis, Iran et surtout la Syrie, la grand gagnante de cette guerre civile qui n’en finit pas.
Et, au milieu du chaos, se tient Zia, la chiite qui a participé à la formation des « candidats » aux attentats-suicides. Figure complexe du livre, elle en est l’un des personnages les plus intéressants.
Dans une construction haletante et efficace comme un bon thriller qui ne laisse pas au lecteur le temps de souffler, « Que s’obscurcissent le soleil et la lumière » se termine sur la fin d’une guerre qui a duré quinze ans et fit 150 000 morts et des centaines de milliers de personnes déplacées.
La paix aura un prix : la mainmise de la Syrie sur ce petit pays qui fut appelé autrefois « la Suisse du Moyen-Orient ».
Au regard de la situation actuelle, le Liban n’a pas fini d’être le théâtre de poche des conflits régionaux où les religions, brandies comme des étendards, sont des prétextes pour prendre le pouvoir et ne pas le perdre.
La phrase de George Santayana, « Seuls les morts ont vu la fin des guerres », n’a pas fini de résonner.
Parallèlement à la description d’un Moyen-Orient explosif, Frédéric Paulin fait le portrait de la France de la seconde moitié des années 1980, et surtout des politiques : leurs mensonges, leur lâcheté, leurs magouilles minables pour le pouvoir, leurs manipulations…
Et la plupart des personnages de fiction, déjà présents dans les deux précédents tomes, n’en peuvent plus de la duplicité de ceux qui les dirigent. Qu’il s’agisse du député Michel Nada, le Libanais exilé qui conseille la droite et dont le frère Édouard tente de sauver sur place son pays martyrisé ; de Philippe Kellerman, le diplomate dont la gauche utilise les connaissances du pays du Cèdre ; du capitaine Dix-Neuf de la DGSE qui n’hésite pas à tuer pour la « bonne cause » ; du commissaire Caillaux des RG, plus désespéré que jamais, et de sa compagne Sandra Gagliago, juge antiterroriste, elle aussi désillusionnée, surtout quand le pouvoir lâchera son chef Gilles Boulouque, vilipendé par certains journaux, en l’occurrence « Le Monde » et « Libé », qui remettent en cause son indépendance.
Boulouque se suicidera le 13 décembre 1990…
Raison d’État vous dis-je ! Un concept qui illustre le cynisme de ceux qui nous gouvernent qui s’essuient les pieds sur les principes régissant l’État de droit et sur la justice qui est censée les protéger.
EXTRAITS
- Qu’importe si la justice est devenue un vaste cirque où politiques et média jouent la même partition.
- Un sapin de Noël au milieu de la guerre, il n’y a qu’à Beyrouth qu’une telle chose est possible.
- Il n’y a pas de belles manières de faire la guerre.
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