Critique – Ils vont tuer Robert Kennedy – Marc Dugain – Gallimard

Critique – Ils vont tuer Robert Kennedy – Marc Dugain – Gallimard


J’avoue que les thèses qui ont pullulé sur les assassinats des frères Kennedy m’ont moyennement intéressée. Et je me demande encore pourquoi le dernier roman de Marc Dugain m’a à ce point happée.

Le talent de l’auteur certainement mais aussi le sentiment de se laisser envahir par la paranoïa qui sous-tend ce récit entrecroisant deux histoires : une quête obsessionnelle de la vérité sur les morts du président des États-Unis en 1963 et de celui qui s’apprêtait à remporter l’élection suprême en 1968, « adolescents insatisfaits que rien ne contente et qui gardent sur le visage la rancune de tout avoir eu trop vite » ; la mise en relation des décès des parents du narrateur en 1967 et en 1968 avec les événements précités.

Le conteur de cette fable qui nous plonge au cœur des manipulations, des mensonges et des conspirations les plus fous est un certain Mark O’Dugain (là, on frôle la schizophrénie), un obscur professeur d’histoire contemporaine dont la psychose ne s’efface pas avec le temps. Au début du roman, alors qu’il a la soixantaine, il doute même de Lorna, sa jeune compagne, qu’il imagine en Mata Hari moderne…

Tout a été dit et écrit sur l’assassinat de John Kennedy. Il est désormais admis que Oswald était un leurre. Pour retrouver les commanditaires du meurtre, l’auteur balaie large. Il évoque les anti-castristes, la Mafia, l’Armée, le FBI, la CIA et même les Texans soulignant que George Bush père aurait été présent à Dallas le 22 novembre 1963 ! Ignorante de cet immense complot qui aurait provoqué tout de même une cinquantaine de victimes collatérales, j’ai appris plein de choses en particulier sur le programme MK-Ultra, émanation de la CIA, visant à manipuler les esprits en utilisant notamment le LSD. On voit que l’hypnose, dont le père du narrateur est un grand spécialiste (tiens tiens), n’est jamais loin.

On sait que Marc Dugain est fasciné par les États-Unis. Il l’a prouvé avec « La malédiction d’Edgar » que je n’ai pas lu et le remarquable « Avenue des Géants ». On sent qu’il a un faible pour Bobby Kennedy qu’il décrit comme un maniaco-dépressif représentant de la contre-culture qui a tenté toute sa vie de racheter les fautes de son père, affairiste proche de la mafia, antisémite et pro-nazis qui aurait dit : « Il faudrait que les Juifs cessent d’énerver Hitler. ». Il savait qu’en briguant la présidence des États-Unis, il allait être assassiné. Il fut une sorte de kamikaze de la morale.

A la fois attiré et rebuté par la première puissance mondiale, Marc Dugain fait le portrait d’une Amérique tellement corrompue et mythomane qu’on en a des vertiges.

Mélanger des personnages réels et de fiction aurait pu donner un résultat indigeste. Or, ce n’est pas le cas. Le roman est tellement bien construit que ça marche. « Ils vont tuer Robert Kennedy » est hypnotisant !

EXTRAITS

  • Mon monde n’est pas le vrai monde.
  • La fleur Kennedy a poussé sur du lisier, voilà l’exacte vérité.
  • L’Amérique n’a jamais considéré l’amitié comme une valeur, elle ne se connaît que des ennemis ou des vassaux, et elle a inculqué à ses enfants la primauté de la relation d’intérêt, la seule qui vaille à ses yeux en dehors de l’amour déclaré de sa famille sous la protection de Dieu et du marché, deux formes de divinités proclamées.
  • L’œuvre d’un auteur devait-elle participer de sa propre destruction pour prendre de la valeur ?
  • Les femmes sont à Jack ce que l’insuline est à un diabétique.
  • Cette dérivation de la contestation vers l’aventure psychédélique restera l’exemple le plus sophistiqué de déportation masquée dans un au-delà interstellaire. (…) la CIA paie à la subversion le voyage vers la paix éternelle.
  • Les non-dits parlent plus que les mots, les silences plus que les non-dits.

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