Critique – Une exécution – Danya Kukafka – Buchet-Chastel

Critique – Une exécution – Danya Kukafka – Buchet-Chastel


Si on considère qu’il faut avoir commis au moins trois meurtres pour remporter le qualificatif de serial killer, Ansel Packer en est bien un.

À l’inverse de la plupart des romans qui décrivent avec une certaine fascination ces assassins qui seraient dotés d’une intelligence supérieure, Danya Kukafka a préféré se concentrer sur celles qui ont connu le « Tueur de gamines » qui attend dans le couloir de la mort.

Elles sont trois à lever le voile sur cet homme.

La première est Lavender, sa mère qui lui donne naissance en 1973 dans une ferme délabrée de l’État de New York. Un autre garçon verra le jour quatre ans plus tard. Pour que ses fils échappent à la violence de leur père, elle pense les sauver en les abandonnant tout en prévenant la police de son geste.

Alors qu’il n’avait que cinq mois, elle constate déjà l’étrangeté du regard de son aîné, « comme s’il voyait à travers toi » pense-t-elle.

Naît-on psychopathe ou le devient-on en à cause d’une blessure d’enfance ?

Tout au long de sa vie, Ansel sera incapable de ressentir la moindre empathie et prendra un malin plaisir à faire souffrir en s’attaquant dans un premier temps à des animaux. En commettant le mal, il aura enfin l’impression d’être quelqu’un et pas seulement un enfant délaissé et placé dans une famille d’accueil.

C’est là qu’il croisera le chemin de Saffy. Métisse née d’un père indien reparti dans son pays et orpheline de mère, elle en pince pour le préadolescent mais découvre son vrai visage. Elle s’en souviendra lorsqu’elle deviendra flic et enquêtera de façon obsessionnelle sur les disparitions de celles qui ont été assassinées par Ansel et dont les corps ne seront découverts que neuf ans plus tard.

Le dernier témoignage est celui d’Hazel, la sœur jumelle de Jenny, l’épouse d’Ansel. D’abord sous le charme du garçon manipulateur, elle s’aperçoit que quelque chose ne colle pas chez lui.

Les voix des trois femmes sont entrecoupées de courts chapitres qui égrènent le compte à rebours dix heures avant l’exécution. C’est là que nous est révélée la folie meurtrière d’Ansel qu’il tente de justifier en évoquant des théories pseudo-philosophiques sur le bien et le mal.

Avec le personnage d’Ansel, un type ordinaire, frustré, immature, insensible, incapable de réfréner ses pulsions et doté d’une intelligence très moyenne, « Une Exécution » déconstruit la figure magnétique du serial killer et donne chair aux victimes, qu’elles soient collatérales ou pas, pour rappeler que la plupart d’entre elles sont des femmes.

Parallèlement à la problématique du féminicide toujours patent dans nos sociétés soi-disant civilisées, Danya Kukafka interroge, en particulier avec le personnage de Saffy, la place des femmes dans le monde du travail, reflet du regard que certains hommes portent sur elles.

« Une Exécution » est un récit puissant et engagé qui utilise les codes du thriller pour mieux les dépasser en dessinant un portrait socio-psychologique d’une Amérique de plus en plus brutale et fracassée dont la peine de mort, encore pratiquée dans la moitié des états, est le symbole, un symbole dérisoire parce qu’elle n’a pas réussi à juguler sa violence intrinsèque.

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