Critique – Division Avenue – Goldie Goldbloom – Christian Bourgois

Critique – Division Avenue – Goldie Goldbloom – Christian Bourgois


Division Avenue est une artère du quartier Williamsburg de Brooklyn. Dans ce secteur de New York bordé par l’East River, le yiddish résonne au rythme des fêtes religieuses. Nous sommes chez les juifs orthodoxes.

Surie Eckstein est l’une des membres de la communauté. Cinquante-sept ans, dix enfants, une trentaine de petits-enfants, elle est enceinte.

Alors qu’elle pense être ménopausée et qu’elle attend la naissance de son premier arrière-petit-enfant, elle tait sa grossesse, y compris à son pourtant doux, gentil mais aveugle mari, un sofer sta »m (scribe spécialisé en calligraphie hébraïque). Par honte et par peur du jugement de sa famille et de ses pairs qui s’étonneraient qu’une femme de son âge ait encore des relations sexuelles !

Son état étant à risque, elle pourrait avorter, comme le suggère sa sage-femme avec laquelle elle se lie d’amitié malgré leurs différences, celle-ci étant profondément athée et dubitative face aux règles religieuses que s’impose Surie. « La foi n’excuse en rien l’ignorance » songe l’accoucheuse consternée par l’obscurantisme de sa patiente.

« Dieu m’en garde » s’exclame la quinquagénaire, persuadée qu’il « n’y avait que les goyims pour penser que les fœtus n’étaient pas vraiment vivants ».

La solitude, le sentiment d’abandon et la crainte de Surie d’être une pestiférée la font renouer avec le souvenir de son fils homosexuel à propos duquel son père disait : « il était pédé, il méritait de mourir ». Les rabbins refusèrent qu’il soit enterré dans le carré de la communauté. Quant à Surie, elle s’interroge : « Lipa aurait-il toujours été de ce monde s’ils avaient su l’aimer tel qu’il était ? ».

Ce qu’elle pense avoir raté dans sa vie de mère, elle va peut-être le réussir dans sa vie de femme en venant en aide à ses prochains sans les juger.

« Division Avenue » est le portrait délicat et tout en nuances d’une femme enfermée dans une communauté à la fois étouffante et rassurante qui est confrontée à un dilemme : respecter les traditions et aspirer à plus de liberté. Ce texte sonne tellement juste que le lecteur ne pourra être que touché par le courage de l’héroïne dans son cheminement pour s’affranchir des carcans.

Ce roman est aussi une intéressante plongée dans la culture juive orthodoxe qui impose le choix des époux, dont la justice rabbinique prévaut sur celle des Etats-Unis, qui interdit les images et tout ce qui vient de l’extérieur (télévision, livres…), qui considère que la femme ne doit pas étudier les textes sacrés…

Goldie Golbloom est membre de la communauté hassidique loubavitch. Elle est aussi une militante LGBT oeuvrant en faveur des juifs orthodoxes queer en introduisant un peu de tolérance au cœur d’une religion qui ne l’est pas.

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