Critique – L’empreinte – Alexandria Marzano-Lesnevich – Sonatine

Critique – L’empreinte – Alexandria Marzano-Lesnevich – Sonatine


En dédiant ce récit autobiographique à ses parents, Alexandria a manifestement pardonné à ses géniteurs d’avoir gardé le secret sur les agressions sexuelles de son grand-père dont elle a été victime.

En faisant sienne la phrase « Il est toujours possible que la solution d’un mystère en résolve un autre » extraite de « De sang froid » de Truman Capote, elle fait preuve d’une grande intelligence et d’un recul sur elle-même qui vont lui permettre, en acceptant les blessures de l’enfance, de se projeter dans l’avenir.

Comme ses parents, la narratrice veut devenir avocate. Effectuant un stage dans un cabinet de La Nouvelle-Orléans, elle découvre l’existence d’un « fait divers » qui a eu lieu 11 ans plus tôt. C’est en effet en 1992 qu’elle situe le début de sa narration. Avec une précision toute clinique, glaçante et dérangeante, elle raconte comment Ricky Langley tua Jeremy Guillory, son petit voisin de 6 ans. Il l’aurait violé avant de l’étrangler.

Pourtant, il avait déjà été condamné pour pédophilie et avait lancé des appels à l’aide pour être soigné, allant même jusqu’à tenter de se suicider. Sa demande n’a jamais été prise en compte…

De la même manière, la révélation par la narratrice des agissements de son aïeul à ses parents n’aura pas de suite…

Le parallèle entre le meurtrier et la victime est évident. En lui, elle retrouve la figure délétère de son grand-père. Mais l’assassin est-il entièrement responsable de ses actes ? Autre question essentielle que soulève Marzano : qu’est-ce que la vérité ?

Né en Louisiane, Ricky grandit dans une famille marquée à jamais par un accident de voiture qui a provoqué la mort de la benjamine et d’Oscar, le seul garçon, ainsi que la lourde infirmité de sa mère devenue alcoolique pour mieux supporter les douleurs. Il n’était pas encore de ce monde mais le fantôme de ce frère qu’il n’a pas connu ne va cesser de le poursuivre. La schizophrénie n’est pas loin. C’est donc dans un corps martyrisé et gavé d’alcool et de médicaments qu’il va grandir. Plus tard, Jamie agrandira la famille Langley. Il sera borgne et quasiment sourd. Pendant son procès, Ricky confesse avoir été violé par son père.

Quant à Alexandria, elle a perdu sa petite sœur Jacqueline. Enfant, puis adolescente, son corps n’est que souffrance, sa scolarité est chaotique.

La mort et le supplice planent sur leurs enfances respectives.

Le talent d’Alexandria Marzano-Lesnevich, qui a trouvé sa voie dans l’écriture comme seul moyen d’exorciser le passé, est d’avoir su raconter des faits objectifs tout en levant le voile sur une double subjectivité : celle de Ricky et la sienne. Un autre personnage fort hante ce récit : celui de Lorelei, la mère de Jeremy. Elle pense qu’infliger la peine de mort au meurtrier de son fils ne changera rien. Elle va même jusqu’à dire qu’elle va se battre pour lui. Quelle capacité à pardonner !

Juste une remarque : on aurait préféré que l’éditeur traduise mot à mot le titre original « The Fact of a Body, a Murder and a Memoir ».

EXTRAITS

  • Dans les livres, je découvre la sourde vibration de tout ce qui est indicible.

  • Dans ma famille, une douleur, ce sera toujours la mienne ou la tienne, à monter l’une contre l’autre et à mettre en balance, jamais une douleur collective, jamais une douleur de famille.

  • Si j’essaie d’exhumer l’origine de cette histoire, c’est parce que je ne parviens pas à trouver une origine à ma propre vie.

  • Le passé est dans mon corps.

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