Critique – Martin Eden – Jack London – Gallimard

Critique – Martin Eden – Jack London – Gallimard


Ce chef-d’oeuvre que certains considèrent comme autobiographique (ce que dément Philippe Jaworski dans sa préface même s’il admet que l’auteur et son personnage ont quelques points communs) a été édité en 1909 aux Etats-Unis.

Vivant de petits boulots, Martin Eden n’a qu’une ambition : devenir écrivain, « pour réaliser l’impossible ». « Mon désir d’écrire est ma vie même » pense-t-il. Ruth, une petite bourgeoise qui a fait des études de littérature et dont les principes bien arrêtés, reflets de son milieu d’origine, n’aident pas Martin à réaliser son rêve, est son autre passion ou du moins le croit-il. Ce qu’il aime, c’est l’idée de l’amour et de magnifier, par l’écriture, une personne finalement bien ordinaire. « C’était une créature pâle, séraphique ; elle avait de grands yeux d’un bleu céleste et une opulente chevelure d’or » écrit Jack London en se glissant dans les pensées de son « héros ».

La donzelle a néanmoins une qualité, celle de pousser Martin à se cultiver. Même si l’instruction qu’elle promeut est celle de son milieu, provoquant entre les deux tourtereaux une incompréhension qui ne s’effacera jamais.

Malgré son énergie toute nietzschéenne et une grande confiance en lui, les journées passées à noircir le papier, oubliant même de se nourrir, de dormir, lui qui considère le sommeil comme une petite mort, le plumitif voit ses écrits refusés les uns après les autres.

C’est paradoxalement sa rencontre avec Brissenden, un poète génial, incompris et souffreteux, qui va lui ouvrir les yeux et le conduire à la réussite, un succès qui déclenche chez ceux qui le méprisaient une considération inexplicable pour lui. Il finit par rejeter cette popularité et l’argent qui va avec pour lequel il n’a que dédain. « Etrange paradoxe. Quand il avait faim, personne ne le nourrissait, et maintenant qu’il pouvait s’offrir cent mille repas et perdait peu à peu l’appétit, on l’invitait de toutes parts. Où était la justice là-dedans, où était son mérite ? Il n’était pas différent d’alors. Il avait déjà fait tout son travail à cette époque » écrit l’auteur de « Croc-Blanc ».

Intelligent, sensible, complexe, avec une fin poignante digne de Fitzerald, « Martin Eden » est pour l’essentiel le récit de la déchéance d’un homme seul et incompris. Il est aussi le portrait social d’une époque, celle des Etats-Unis du début du vingtième siècle, où le socialisme peut sembler une alternative à l’individualisme dont Martin serait l’incarnation ratée parce que l’argent et le pouvoir ne sont pas son moteur.

Ce qu’il voulait, c’était juste écrire…

EXTRAITS

  • C’était un homme sans passé, avec pour avenir l’imminence de la mort, et pour présent une véritable fureur de vivre.
  • Sans carte ni gouvernail, sans port à rallier, il se laissait aller à la dérive ; vivre moins, c’était moins souffrir.

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