Critique – Anéantir – Michel Houellebecq – Flammarion

Critique – Anéantir – Michel Houellebecq – Flammarion


« C’est avec les bons sentiments qu’on fait de la bonne littérature » confiait récemment Michel Houellebecq au journal « Le Monde » prenant ainsi le contre-pied d’André Gide qui affirmait l’inverse.

Celui qu’on présente souvent comme un cynique désabusé serait-il devenu philanthrope en faisant de l’amour la seule chose qui vaille ?

Par ailleurs, la France n’est plus un musée géant figé dans le passé. Sous l’action du dynamique Bruno Juge, « probablement le plus grand ministre de l’Economie depuis Colbert », et clone de Le Maire, notre beau pays s’est réindustrialisé. Même Citroën dame le pion à Mercedes et Audi tirant des larmes d’émotion à François Lenglet…

Bien sûr tout n’est pas parfait dans notre petite République et Houellebecq se plaît à en dénoncer les dérives par petites piques digressives incisives, pétries de vérités un brin prosaïques et souvent drôles comme il sait si bien le faire ou au moyen de développements plus longs (parfois trop longs).

  • Le terrorisme, multiforme, est toujours plus inventif et multiplie ses cibles : une vidéo d’une grande vraisemblance montre le grand argentier en pleine séance de décapitation ; des porte-conteneurs chinois sont attaqués et une banque de sperme détruite…
  • Les extrémistes et fanatiques sont encore plus radicaux.
  • Les territoires oubliés le sont davantage.
  • L’extrême-droite est toujours active.
  • Les politiques sont de plus en plus impuissants, cyniques et éloignés des citoyens.
  • Plus grave, les « vieux » sont plus que jamais les laissés-pour-compte d’une société soi-disant progressiste qui n’hésite pas à se livrer à l’euthanasie, une pratique que l’auteur de « Sérotonine » condamne. Une nouvelle fois, Michel Houellebecq fait mouche lorsqu’il dénonce le fonctionnement des EHPAD dont la description résonne avec l’actualité récente. En se penchant sur le sort réservé aux anciens, c’est aussi notre rapport hypocrite à la maladie et à la mort qu’il interroge.

« Anéantir » se déroule dans un futur proche, à la fin de l’année 2026. Un nouveau président de la République sera élu l’année suivante et les candidats fourbissent déjà leurs armes.

Le titulaire de la fonction, qui ressemble étrangement à Emmanuel Macron, ne pouvant pas rempiler, il pousse un animateur de télévision à postuler à la fonction suprême en espérant qu’il échoue pour se présenter, cinq ans plus tard, comme l’homme providentiel. C’est sans compter sur l’excellent Bruno Juge…

Mais là n’est pas la question essentielle car le personnage principal est Paul Raison, haut fonctionnaire proche de la cinquantaine et conseiller et ami du précédent. Marié à Prudence (clin d’oeil à Lennon), elle aussi grand commis de l’Etat, avec laquelle les liens sont plus que distendus, il est plongé dans une indifférence, une tristesse et un néant inhérents à sa condition d’humain comme tout bon anti-héros houellebecquien. Pour une fois, Houellebecq délaisse sa misogynie compulsive et coutumière pour faire du personnage de l’épouse un modèle d’abnégation et de courage. Une véritable héroïne en somme inspirée de la Trinity de « Matrix ».

L’AVC de son père, ancien de la DGSI (tiens tiens…) va rebattre les cartes de son destin…

Entre récit intime et considérations sur le monde contemporain comme il va, « Anéantir » est un roman politico-existentiel qui se lit comme un polar.

Certains pourront déplorer le style banal de l’auteur. Mais justement la fonction première de son écriture est de signifier avec précision la pesanteur et la vacuité de nos vies. Toujours avec cet humour désenchanté qui est sa marque de fabrique.

Enfin, c’est bien la première fois qu’un livre de Houellebecq m’émeut à ce point. Parce qu’il sait exprimer avec une grande justesse le sentiment de compassion.

Profitons de l’instant présent car la mort est proche ainsi que de ceux qui nous sont chers eux-aussi soumis à une inexorable fin.

EXTRAITS

  • On n’était pas là pour s’amuser : on était là pour mourir, la plupart du temps.
  • S’il habitait à Arras, lui aussi voterait probablement Marine.
  • C’était fait pour ça les putes, pour vous ramener à la vie.
  • Si son père pouvait bander, s’il pouvait lire et contempler le mouvement des feuilles agitées par le vent, alors, se dit Paul, il ne manquait absolument rien à sa vie.

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