Critique – Houris – Kamel Daoud – Gallimard
Quand on parle de guerre en Algérie, on pense immédiatement aux luttes pour l’indépendance contre la France que la puissance coloniale, avec euphémisme, nommait « événements ».
Le pays le plus peuplé du Maghreb a en effet décidé d’occulter la décennie noire qui fit environ 200 000 morts.
Tout commence à la fin de l’année 1991 avec le raz-de-marée du FIS (Front islamique du salut) au premier tour des élections législatives. En janvier 1992, l’armée opère un coup de force. Les islamistes prennent le maquis, s’arment et sèment la peur.
La guerre civile a commencé.
Elle se termine dix ans plus tard. En 1999, le gouvernement avait déjà tendu la main aux terroristes en amnistiant ceux qui déposeraient les armes.
Six ans plus tard, la Charte pour la paix et la réconciliation nationale interdit toute instrumentalisation « des blessures de la tragédie nationale » et l’assortit d’une peine de prison pouvant aller jusqu’à cinq ans et d’une amende conséquente. Fermez le ban, il n’y a plus rien à voir…
Avec « Houris », Kamel Daoud fait œuvre de mémoire en racontant le chaos que fut cette période pour la population.
C’est par la voix d’Aube, Fajr en arabe, que les horreurs commises, et désormais tues, revivent sous nos yeux.
Car Aube est la preuve vivante, la cicatrice apparente et le symbole de la barbarie. « Quand ils croiront avoir tout nettoyé de leurs crimes, il y aura encore toi et tes yeux magnifiques » lui dit sa mère.
Le 31 décembre 1999, dans le village d’Had Chekala, toute sa famille a été décimée. Y compris sa sœur aînée avec laquelle elle s’était cachée sous une couverture pour échapper aux bourreaux. Laissée pour morte après avoir été égorgée, elle est finalement sauvée et adoptée par Khadija, avocate et secouriste bénévole au moment des faits. Elle avait cinq ans. Depuis, sous son menton, elle arbore une cicatrice de dix-sept centimètres comme un sourire figé et monstrueux.
Alors que la société algérienne est plus corsetée que jamais, elle affiche une liberté insolente, refuse le voile, porte des pantalons, fume, boit du vin et a un salon de coiffure qu’elle a appelé Shéhérazade, comme un pied de nez aux barbus.
Enceinte d’un jeune homme parti pour suivre ses rêves d’Europe, elle s’adresse à celle qu’elle appelle Houri, l’enfant qu’elle porte, en référence aux vierges qui peuplent le paradis dans l’attente des musulmans fidèles.
Mais c’est avec une voix réduite au silence par l’égorgement et par la canule qui la lie encore à la vie qu’elle s’exprime.
Dans sa longue complainte qui court sur plus de quatre cents pages, elle raconte la condition de la femme et le passé escamoté.
Elle s’interroge aussi sur le bien-fondé de donner naissance à une fille qui ne pourra pas vivre libre.
Avec ce livre courageux, Kamel Daoud a composé une fresque historique servie par un style puissamment lyrique.
C’est magnifique, même dans l’expression de la violence la plus extrême, et l’auteur sait manier l’humour pour se moquer des hypocrites et des lâches qui font de la vie des femmes un enfer.
EXTRAITS
- Comment pouvait-on porter sur le même visage la beauté et l’horreur ?
- C’est un couloir d’épines que de vivre pour une femme dans ce pays.
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