Critique – La dame blanche – Christian Bobin

Critique – La dame blanche – Christian Bobin


Christian Bobin, un nom que je connaissais mais jamais je n’avais ouvert l’un de ses livres.

« La dame blanche » est l’un d’entre eux (merci à la Médiathèque de Brive !). Et il s’empare d’un mythe de la littérature américaine : Emily Dickinson, une immense poétesse dont l’oeuvre ne fut connue qu’à son décès.

Par petites touches impressionnistes, une sensation renforcée par la concision des chapitres, Christian Bobin expose des fragments de la vie de cette femme marquée par son amour de la nature qui nourrit son écriture, les deuils de ses proches, sa phobie progressive de sa confrontation avec l’autre, elle qui finit recluse dans la vaste maison familiale.

En poète qu’il est, l’auteur répond comme un écho à Emily, près de cent trente ans après sa disparition.

Alors que tout va trop vite, se poser avec « La dame blanche » nous conforte dans l’idée que la littérature nous aide à vivre.

Ce court livre est un plaidoyer pour le pouvoir des mots et il souligne combien la poésie nous encourage à appréhender le monde avec la distance nécessaire.

Pour mieux apprécier la beauté du style, rien de tel que de citer quelques extraits.

Dans la riche demeure des Dickinson […], tout le monde dort, on n’entend que l’avare tic-tac d’une horloge – une guillotine de secondes – et, de temps en temps, le gémissement d’une vieille armoire en chêne ( il n’y a rien à faire contre ces rhumatismes forestiers ). La nuit monte à l’étage […], redescend, va pour entrer dans le salon, recule devant la pièce illuminée par les bougies : Emily joue du piano.

Rencontrer quelqu’un, le rencontrer vraiment – et non simplement bavarder comme si personne ne devait mourir un jour -, est une chose infiniment rare.
La substance inaltérable de l’amour est l’intelligence partagée de la vie

Par une trappe dans le ciel du langage — qu’elle seule sait crocheter — Emily fait tomber sur l’homme repu de littérature des lumières qui l’aveuglent. Elle lui montre les forges de sa pensée : ses poèmes naissent en réplique à une « lumière soudaine dans les vergers » ou à un « mode nouveau du vent ». Ecrire est une manière d’apaiser la fièvre du premier matin du monde qui revient chaque jour.

Un poète, c’est joli quand un siècle a passé, que c’est mort dans la terre et vivant dans les textes. Mais quand c’est chez vous, un enfant épris d’absolu, bouclé dans sa chambre avec ses livres, comme un jeune fauve dans sa tanière enfumée par dieu, comment l’élever ? Les enfants savent tout du ciel jusqu’au jour où ils commencent à apprendre les choses. Les poètes sont des enfants ininterrompus, des regardeurs de ciel, impossibles à élever.

Emily a deux tables sur lesquelles elle aime écrire, l’une dans sa chambre, l’autre dans le salon.
Un chèvrefeuille appuie ses arabesques contre la vitre du salon et, par la fenêtre entrouverte de sa chambre, l’été, du côté du pré, les chants qui s’élèvent du sorbier aux oiseaux bénissent son écriture.
Les poèmes serrés sur le papier diffusent la même lumière d’or que le blé rassemblé en meules dans le pré. Ce ne peut être le paradis puisque l’on doit mourir. C’est quelque chose qui y ressemble, qui rassure et qui trompe.

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