Critique – La vengeance m’appartient – Marie Ndiaye – Gallimard

Critique – La vengeance m’appartient – Marie Ndiaye – Gallimard


Maître Susane, avocate fraîchement installée à son compte à Bordeaux, reçoit en ce jour glacial de janvier 2019 un certain Monsieur Principaux. Cette intrusion la bouleverse.

Il lui semble qu’elle l’a rencontré il y a plus de trente ans. Elle n’avait alors que dix ans et lui quatorze ou quinze. Pendant que sa mère faisait du repassage pour la famille bourgeoise du garçon, elle était restée un moment dans la chambre de l’adolescent. Que s’était-il passé ?

Plus étrange, cet homme lui demande de prendre la défense de son épouse qui vient de tuer leurs trois enfants.

Elle qui menait une existence banale entre visites à ses parents, rencontres avec son ancien petit ami et sa fille pour laquelle elle se considère comme une seconde mère et règlement de la situation de Sharon, sa femme de ménage mauricienne qui n’a pas de papiers, va voir son destin bousculé.

Entre divagations de Me Susanne dont la mémoire défaillante est peut-être la preuve d’un traumatisme vécu dans l’enfance, explications éprouvantes d’une femme infanticide enfermée dans son rôle de mère au foyer, attitude étrange du mari, comportement ambivalent et méprisant de Sharon envers sa « patronne » à moins que cette dernière soit atteinte de paranoïa, constat de l’incompréhension entre les hommes et les femmes, l’écriture précise de Marie Ndiaye se déploie comme une vague enflant au fur et à mesure du déroulement du récit qui rappelle la plume de Joyce Carol Oates.

Troublant, ambigu, virtuose, mettant en scène la confusion des sentiments, instillant par petites touches impressionnistes l’effroi, « La vengeance m’appartient » soulève de multiples questions sans apporter les réponses. C’est au lecteur d’y répondre. Ou pas. Et peu importe. L’essentiel est d’accepter se laisser envelopper par une histoire où la vérité n’est qu’une illusion, où les apparences sont trompeuses, où la mémoire est défaillante, où la réalité est complexe, où la folie affleure, où seuls les rêves sont authentiques, où l’innocence de l’enfance est bafouée par les psychoses des adultes.

EXTRAIT

  • C’étaient de sombres journées de glace et de brume sur Bordeaux.
  • Je suis devenue bizarre à l’âge de dix ans.

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