Critique – L’ami impossible – Bruno de Stabenrath – Gallimard

Critique – L’ami impossible – Bruno de Stabenrath – Gallimard


Bruno et Xavier, c’est l’histoire d’une belle amitié dans la bonne société versaillaise. C’est avec sa genèse que commence le témoignage de l’auteur de « Cavalcade ».

C’est bien évidemment a posteriori, longtemps après avoir appris l’assassinat, un jour d’avril 2011, de cinq membres de la famille Ligonnès (Agnès, l’épouse ; Arthur, Thomas, Anne et Benoît, les enfants) dont Xavier, en fuite, serait le coupable présumé, qu’il a entrepris son écriture.

Au retour du tournage du très oubliable « L’hôtel de la plage », Bruno, 17 ans, rejoint la classe de terminale d’un lycée où il ne connaît personne, ses parents venant d’emménager dans la ville du Roi-Soleil. C’est là qu’a lieu le coup de foudre amical avec Xavier. Nous sommes en 1977.

Les deux adolescents se découvrent des passions communes pour la musique et les States. Avec leurs allures de dandys, ils fréquentent aussi les mêmes cercles : « rallyes mondains et bals du samedi soir ». En quelques dizaines de pages, l’auteur fait le portrait de la génération dorée des décennies 1970-1980.

Mais, alors que Bruno est un « rebelle » à la fibre artistique, Xavier semble sous l’emprise de Violette, sa mère, à l’origine de la création de l’Eglise de Philadelphie, une secte qui prévoyait la fin du monde qui, bien évidemment, ne toucherait pas ses membres, souvent de généreux donateurs… Sa génitrice reçoit de là-haut des MAM (Messages d’Amour et de Miséricorde) et conçoit le futur organigramme du monde d’après avec, dans le rôle de l’élu, son propre fils. Un sacré poids doit alors peser sur les épaules du garçon…

Pourtant, il donne le change. « Il était (…) le jeune homme le plus joyeux, le plus généreux que je connaisse » écrit l’auteur. Il est aussi un incorrigible romantique croyant « en l’idée de la femme unique » avec laquelle il fonderait une grande famille. Mais celle qu’il avait sublimée lui fait faux bond. Puis, celui qui se rêve en entrepreneur rencontre Agnès qu’il épouse finalement après avoir rompu leurs fiançailles pour s’envoler avec une Allemande. Côté business, Xavier a la bougeotte mais la réussite professionnelle ne vient jamais. Tous ses projets, financés avec l’argent d’Agnès, capotent. Le winner est un loser.

Depuis qu’il est marié et père de famille, les rencontres entre les deux amis s’espacent. C’est Xavier qui s’éloigne. Mais qui est de retour en 1996 lorsque Bruno sort tétraplégique d’un accident de voiture. C’est Xavier qui le réconforte alors que lui-même a perdu ses illusions. L’année précédente, l’apocalypse annoncée par Violette n’a pas eu lieu. Xavier perd la foi mais continue à être taraudé par la religion. Plus tard, il constate que sa femme le méprise et apprend qu’elle le trompe avec son meilleur ami. Pas une raison suffisante pour tuer toute sa famille ? En fait, c’est l’accumulation des charges mentales et financières qui ont motivé la mise en œuvre d’un scénario diabolique, la goutte d’eau, selon l’auteur transformé en psychologue, étant la mort du patriarche qui lui lègue le fusil de la mort et le poids de l’héritage familial. Il est désormais l’aîné mâle des Ligonnès alors que tout s’effondre autour de lui.

S’il avait croisé Xavier après la disparition des siens, Bruno de Stabenrath aurait pu lui poser la question suivante : « Dis, qu’as-tu fait, toi que voilà, de ta jeunesse ?  » (Verlaine).

Celui qui a accompli l’impensable en effaçant les maux pour renouer avec l’innocence et la pureté de la jouvence lui répondra peut-être un jour.

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