Critique – Le dernier bain de Gustave Flaubert – Régis Jauffret – Seuil

Critique – Le dernier bain de Gustave Flaubert – Régis Jauffret – Seuil


Tout d’abord merci à Babelio et aux éditions du Seuil de m’avoir permis de lire le dernier livre de Régis Jauffret en cette année où nous célébrons le bicentenaire de la naissance de Gustave Flaubert.

La première partie intitulée « Je » dans laquelle l’auteur se glisse dans l’esprit du Normand est composée sur le mode « Je suis Gustave Flaubert » à la manière d’un acteur qui endosserait un rôle. Plongé dans un bain, l’un de ses petits plaisirs, « l’ermite de Croisset » vit ses dernières heures. Il a 58 ans et vient de terminer l’avant-dernier chapitre du premier tome de « Bouvard et Pécuchet ». Il revient sur sa vie depuis sa naissance à Rouen à l’Hôtel-Dieu de la ville dont son géniteur était le chirurgien-chef. On découvre avec effroi qu’en ce début de 19ème siècle les conditions d’hygiène dans la pratique de la médecine sont déplorables. « La mort était (…) le fond de l’air que nous respirions » affirme Flaubert-Jauffret. Phobique scolaire, il développe des pulsions suicidaires. Devenu écrivain « professionnel », il souffre des « affres du style » davantage que de sa syphilis et de ses crises d’épilepsie. Il est même décrit comme un « bigot du style » qui sort pourtant de sa thébaïde pour fréquenter les salons mondains, voyager et découvrir la sensualité en matant la « mince et potelée » (sic) Elisa future Schlésinger pourvue, comme toutes ses héroïnes, d’une « fine moustache » et qui fut violée à de nombreuses reprises le jour de son premier mariage… Ce portrait typiquement flaubertien, qui déclencha chez l’adolescent de 14 ans un orgasme à distance, est un régal de cruauté. De sexualité, il est beaucoup question tout au long des quelque trois cents pages de cette biographie autobiographique romancée. Même si je savais que l’amitié virile passait avant l’amour, j’ignorais que Gustave avait entretenu des relations uranistes avec Alfred Le Poittevin, Maxime Du Camp et Louis Bouilhet et même Baudelaire avec lequel il aurait passé une nuit. A moins que cette épisode ne soit que pure invention. Du Camp et lui ne dédaignaient pas se faire la main sur des prépubères lors de leur périple en Orient. Même si l’époque considérait l’enfant comme un adulte miniature, cette précision me laisse un goût amer mais il paraît qu’il faut séparer l’oeuvre de l’homme. Et « toute morale varie, bien fol qui s’y fie » écrit Régis Jauffret en pastichant François 1er.

Misogyne, Flaubert le fut très certainement notamment dans sa liaison avec Louise Colet toujours présentée comme la maîtresse officielle alors que leurs liens étaient surtout épistolaires. C’est à se demander s’il n’avait pas peur du sexe dit faible lui dont la mère fut la seule femme qu’il a « absolument aimée ». Freud s’en serait délecté.

La deuxième partie nommée « Il » pourrait relever de la stricte biographie si elle n’était aussi foutraque avec l’incursion quasi obsédante des personnages des romans de Flaubert. Avec, par ordre d’apparition, Emma Bovary qui le harcèle et avec laquelle il entame une conversation désopilante. Dans le cerveau fatigué de Gustave qui attend la mort avec terreur se succèdent figures réelles et de fiction.

Le chutier, troisième mouvement du livre, est une sorte de poubelle qui contient des éléments qui n’ont pas été repris dans les deux parties précédentes. L’éditeur ou l’auteur ou les deux ont eu la mauvaise idée de les imprimer dans une taille quasiment illisible. Dommage…

De ce roman foisonnant et drôle écrit dans une prose éructante qui bouscule la chronologie, j’ai aimé la manière dont Régis Jauffret décrit la solitude et la souffrance de Flaubert persécuté par le processus de création littéraire qu’il s’impose chaque jour. Quelle abnégation de pratiquer jusqu’à la folie l’art pour l’art qui ne sert à rien.

« Il n’y a de vraiment beau que ce qui ne peut servir à rien ; tout ce qui est utile est laid » écrivait Théophile Gautier. A méditer quand nos gouvernants décident de ce qui est essentiel et non essentiel.

EXTRAITS

  • J’aurais voulu d’une réalité comme des rêves soumis dont on puisse à volonté changer le décor et les gens.
  • J’ai passé ma vie à gueuler pour ne pas percevoir la rumeur sourde du silence que je n’ai cessé pourtant de réclamer à corps et à cri.
  • On passe l’infime ration d’années qui nous est consentie à pousser devant nous la cage où nous sommes enfermés.
  • Mon amour pour elle avait séché, je la saupoudrais de sa poussière.
  • Sans style la langue est muette.
  • La souffrance d’écrire, c’est moi qui l’ai inventée.
  • Un jour personne ne se souciera plus de ses livres auxquels de toute manière les cerveaux futurs ne comprendront plus rien.

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