Critique – Le voyage dans l’Est – Christine Angot – Flammarion

Critique – Le voyage dans l’Est – Christine Angot – Flammarion


L’inceste est le fil qui sous-tend toute l’oeuvre de Christine Angot depuis qu’elle s’est lancée dans l’écriture au début des années 1990.

Son dernier roman, auréolé du Prix Médicis, serait-il le livre de trop ou le dernier sur ce thème sous la forme d’un testament littéraire ?

Moins heurtée, son écriture semble presque apaisée. Comme si elle voulait tourner la page pour passer à autre chose et, pourtant, l’histoire qu’elle nous raconte est monstrueuse.

Comme un mauvais augure, c’est dans un hôtel de Strasbourg que la narratrice « retrouve » son géniteur dont elle n’avait aucun souvenir. Elle a 13 ans et n’a jamais manifesté l’envie de le rencontrer. Pis, elle annonce qu’il est mort à ceux qui l’interrogent sur son existence.

Curieusement, elle pleure de joie en le voyant.

Elle trouve formidable cet homme qui porte beau, qui est drôle, cultivé, polyglotte. Pourtant, avant de repartir pour Châteauroux, le père l’embrasse sur la bouche. « Le mot inceste s’est immédiatement formé dans ma tête » écrit-elle même si on peut douter que, à son âge et au début des années 1970, elle connaisse ce vocable.

Après le premier baiser, le mécanisme de l’emprise se met en place, avançant sournoisement. Pour la manipuler et la rendre dépendante, le père, modèle de perversité, l’assaille d’éloges. « Ce que je ressens pour toi, je ne l’ai jamais ressenti pour personne » ou encore « j’ai l’impression d’avoir rencontré un autre moi-même » lui dit-il. Rapidement, ses propos deviennent plus crus et de plus en plus obscènes. Des paroles, on passe aux actes dont Christine Angot décline la teneur dans une énumération géographique glaçante à la chronologie incertaine. La mémoire est en effet souvent défaillante lorsqu’il s’agit de se rappeler les traumatismes vécus.

Pour continuer à voir cet homme qu’elle admire tant et dont elle pense qu’il a « l’air de l’aimer » tout en tentant de lutter contre les agressions dont elle est l’objet, l’adolescente Christine, bien consciente de l’anormalité de la situation, emploie des tactiques d’évitement et d’oubli mais le pouvoir de nuisance du père va l’emporter. Dans l’indifférence générale, notamment de sa mère qui ne veut pas voir.

Quelles conséquences cette relation toxique père-fille peuvent-elles avoir sur une enfant devenue une femme (Christine a eu des relations sexuelles avec son géniteur jusqu’à l’âge de 26 ans) ?

Le sentiment à la fois d’être coupable et responsable de ce qui lui arrive pour ne pas se « voir comme quelqu’un qui subit passivement sans rien faire » ; la honte ; la haine de soi qui déclenche des phénomènes de somatisation ; les insomnies ; l’engrenage infernal de l’anorexie-boulimie ; les rapports compliqués avec les hommes ; l’impression permanente d’être anesthésiée, de ne pas être dans la vie…

Christine va trouver dans l’écriture une forme de rédemption en sortant du silence pour mettre à mort symboliquement le père et tenter de vivre l’existence qu’elle aurait dû avoir.

Lu en quasi apnée, « Le voyage de l’Est » est un livre dérangeant et salutaire sur le tabou suprême qu’est l’inceste. Il est remarquable d’intelligence sur la connaissance de soi qui passe par la compréhension des mécanismes d’emprise, de domination et de manipulation.

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