Critique – Serge – Yasmina Reza – Flammarion

Critique – Serge – Yasmina Reza – Flammarion


Avant de trépasser, la mère, fraîchement installée dans son lit médicalisé flambant neuf, prononce « LCI ». Pour répondre à la question que lui posait son aîné Serge sur ce qu’elle souhaitait voir. Triste monde !

Dès les premières pages de son dernier opus, Yasmina Reza annonce le ton du feuilleton familial qu’elle consacre à la fratrie Popper composée du susnommé, de Jean, « le garçon du milieu » et narrateur, et de Nana, la cadette, qui s’exclame devant la dépouille de sa génitrice qui agonisait d’un cancer : « elle est morte (…) sans avoir profité des avantages du nouvel équipement » !

Avec la disparition de la matrone, précédée de celle du père, tout part à vau-l’eau, les caractères se révèlent et la famille, tout au moins ce qu’il en reste depuis la perte des parents, vole en éclat.

C’est à l’occasion d’un voyage à Auschwitz, une idée de Joséphine, la fille de Serge, et moment fort du récit, que les masques vont tomber.

L’escapade polonaise sur les traces des ancêtres donne lieu à des scènes comiques et des dialogues désopilants, stigmates de la bêtise humaine, qui ne pourront qu’exciter les zygomatiques des amateurs d’humour grinçant.

Deux exemples qui donnent la couleur. Devant l’exubérant fleurissement de la ville où fut construit le plus grand camp d’extermination de l’Allemagne nazie, Serge s’exclame : « le juif est un bon engrais » ; Joséphine, étonnée de voir des tables à langer dans les toilettes, s’interroge : « tu crois que des gens viennent ici avec des bébés ? ».

Par la voix de Jean, le « bon garçon sans histoire » qui l’admirait, Serge en prend pour son grade. Le « roi des entreprises nébuleuses » qui se prend pour un tombeur alors qu’il est petit et pataud est en fait un raté colérique qui, pour une histoire de fesses, a perdu sa dernière compagne qu’il ne méritait pas. Par dessus le marché, le sexagénaire carburant à l’alcool et aux cigarettes, est physiquement au bout du rouleau.

Au-delà de la farce fort drôle qu’elle nous propose avec son grand talent de dramaturge, Yasmina Reza glisse plus sérieusement une réflexion sur la judéité (une mère antisémite alors qu’elle est d’origine juive hongroise et un père supporter d’Israël), sur la cruauté de la vieillesse et sur la famille qui serait, peut-être, le seul rempart contre la solitude.

EXTRAIT

– Les pires antisémites sont les juifs.

+ There are no comments

Add yours