Critique – L’enfant perdue – Elena Ferrante – Gallimard

Critique – L’enfant perdue – Elena Ferrante – Gallimard


« L’enfant perdue » est le dernier volume de la tétralogie « L’amie prodigieuse ». Il commence en 1976, près de trente ans après le premier tome.

Lena est plus que jamais amoureuse de Nino. On se demande bien ce qu’elle lui trouve à ce bellâtre prétentieux, séducteur compulsif, arriviste, menteur, égocentrique, jaloux et misogyne. Comme l’écrivait Pascal, « Le cœur a ses raisons que la raison ignore » !

Elle décide de quitter son mari Pietro et ses deux filles pour vivre sa passion à Naples, la ville de son enfance qu’elle a choisi de fuir pour mieux exercer ses talents d’écrivain. Avec réticence, elle renoue avec Lila, son amie de toujours avec laquelle les relations ont souvent été compliquées.

« L’enfant perdue » est le récit d’une amitié que le temps et les parcours divergents de Lena et Lila (celle qui fuit et celle qui reste) ont du mal à pérenniser. C’est aussi le portrait à portée universelle d’une femme courageuse, Lena, qui éprouve des difficultés à tout concilier : l’amour, les enfants, la vie professionnelle… et qui se pose des questions sur le sens de son écriture, le poids des mots et la postérité de son œuvre. L’énigmatique et complexe Lila n’est pas en reste. Cruelle, autoritaire, rancunière, charismatique, paranoïaque, frôlant parfois la folie mais aussi capable d’empathie et de s’opposer aux petits chefs mafieux en défendant le territoire de son enfance qu’elle ne souhaite pas voir davantage souillé. Capable aussi de protéger Lena presque à son insu.

C’est enfin la peinture d’une ville, Naples la solaire, à la fois attachante et repoussante avec sa saleté, sa misère, sa violence et sa mafia qui régit la vie des habitants.

Comme dans ses trois romans précédents, la situation politique et sociale de l’Italie sert de toile de fond à cette histoire si personnelle composée à la première personne. Le terrorisme est en effet à son apogée avec l’enlèvement d’Aldo Moro en 1978.

C’est le cœur un serré que j’ai refermé ce livre addictif et envoûtant qui souligne combien la maturité apporte la lucidité mais aussi la certitude de la fin des illusions. Comme une enfance perdue…

EXTRAITS

  • Il a la pire des méchancetés, celle des gens superficiels.
  • Au contraire, je me convainquis que la déception dans laquelle finissait tôt ou tard tout amour pour Naples était une loupe permettant de regarder l’Occident dans son entier. Naples était la grande métropole européenne où, de la façon la plus éclatante, la confiance accordée aux techniques, à la science, au développement économique, à la bonté de la nature et à la démocratie s’était révélée totalement privée de fondement, avec beaucoup d’avance sur le reste du monde. Être née dans cette ville (…) ne sert qu’à une chose : savoir depuis toujours, presque d’instinct, ce qu’aujourd’hui tout le monde commence à soutenir avec mille nuances : le rêve du progrès sans limites est, en réalité, un cauchemar rempli de férocité et de mort.

+ There are no comments

Add yours