Critique – Terres rares – Sandro Veronesi – Grasset

Critique – Terres rares – Sandro Veronesi – Grasset


Il nous avait manqué Pietro Paladini, le personnage malheureux de « Chaos calme » publié en 2008 et auréolé des Prix Strega et Femina étranger.

Le brillant cadre supérieur qui tentait de sauver deux jeunes femmes de la noyade alors que son épouse – qu’il n’aimait pas – agonisait nous revient dans une forme plutôt bonne.

La petite cinquantaine, il vend des voitures saisies. Il appelle ces opérations des « prélèvements ».

La journée où tout va s’écrouler commence par une scène presque surréaliste. Pietro assiste, sur la route, à un largage d’écrevisses par un camion frigorifié. La presse s’empare de ce fait divers et parle d’une invasion d’espèces nuisibles. Or, la réalité est tout autre. Et notre « héros » de s’offusquer de la déformation de la réalité et du manque de vérification des origines de cet incident par les journalistes. Il suffisait de s’apercevoir que les crustacés baignaient dans la glace ! Cet événement absurde qui inaugure ce « dies horribilis » sera suivi d’une succession d’épisodes qui vont remettre en cause les fondements de son humble existence de travailleur qui élève seul sa fille. Il le résume si bien : « La totale. J’ai perdu mon téléphone portable. J’ai foiré un prélèvement. On m’a sucré mon permis. Il y a eu une descente de police au bureau et ils ont tout saisi. ». Ajoutons que son unique enfant, âgée de 18 ans, est partie vivre chez sa tante, son associé a pris la tangente et sa compagne aussi après qu’il lui a flanqué une magistrale beigne digne de la jouissive gifle que Lino Ventura inflige à Isabelle Adjani dans le film éponyme…

Bref, celui qui ressent peu d’empathie pour les autres, à part pour sa petite personne, va vivre cette journée comme une forme de rédemption. Ce sont les hasards, les coïncidences, la divulgation de secrets qui vont le révéler à lui-même, le conduire à apprécier les vraies valeurs. Et c’est sa fille qui va l’amener à cette prise de conscience. A la fin du livre, elle emploie un procédé qui consiste à utiliser un objet – en l’occurrence les terres rares qui sont des métaux aux propriétés étonnantes – comme métaphore de l’être seul qui sort de son enfermement pour s’accomplir (« si je veux arriver à une chose difficile à atteindre je dois détruire l’être solitaire qui la contient »).

Alternant humour (lire la liste des trucs sympas qu’il n’a jamais faits comme, par exemple, sortir en kilt, détacher l’étiquette d’une boîte de médicaments avec l’espèce de petit couteau des pharmaciens, construire un château en bâtonnets d’esquimau…) et émotion, le dernier roman de Sandro Veronesi nous montre un « anti-héros » qui nous ressemble étrangement avec ses faiblesses et ses lâchetés. L’emploi du « je » accentue cette impression de proximité avec Pietro, ce personnage décidément bien attachant que l’on s’amuse à voir sombrer et renaître.

EXTRAITS

La totale. J’ai perdu mon téléphone portable. J’ai foiré un prélèvement. On m’a sucré mon permis. Il y a eu une descente de police au bureau et ils ont tout saisi.

Un homme qui enjambe la glissière de sécurité d’une voie rapide est un homme en galère…

Internet qui place tout sur le même plan et à la même distance semble offrir une occasion de changer sa vie, au détriment de ses obligations. (…). C’est l’occasion qui engendre le désir, la fin du discernement, l’entropie.

Qui pourra me condamner pour ce que je suis si personne ne sait ce que je suis ?

Dianette. C’est son vrai nom : Dianette. C’est le nom de la pilule qui n’a pas marché quand sa mère est tombée enceinte.

Ce n’est pas quand maman est morte, tu comprends ? C’est quand le rêve par lequel je l’avais remplacée est mort

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