Critique – Les graciées – Kiran Milwood Hargrave – Robert Laffont
Fin 1617, l’île de Vardo est frappée par une tempête tellement brusque et violente qu’elle semble avoir été conjurée. « Quarante hommes ont péri noyés » laissant de nombreuses femmes veuves ou orphelines.
A cette époque, le Danemark et la Norvège formaient un seul pays régenté par Christian IV, partisan d’un luthérianisme sévère visant, entre autres, à éradiquer les particularismes culturels des Samis, peuple indigène de l’Extrême-Nord, considérés comme des sorciers sous le prétexte qu’ils parlaient avec les esprits et agissaient sur les vents. Le seigneur local, d’origine écossaise, « supervisa (…) cinquante-deux procès pour sorcellerie, qui conduisirent à la mort de quatre-vingt-onze personnes – quatorze hommes et soixante-dix-sept femmes ».
« Les graciées » raconte cette page sombre de l’histoire du royaume en l’incarnant avec des personnages de fiction.
Le premier que nous rencontrons est Maren, jeune femme qui a perdu son père, son frère et son fiancé dans la tempête. Elle vit avec sa mère et sa belle-soeur, une Samie. Abattues par le drame, pétrifiées par le froid et tenaillées par la faim, les femmes se laissent aller. C’est sans compter sur la détermination, le courage et l’énergie de la veuve Kirsten qui en convainc certaines d’aller pêcher, une activité réservé aux hommes que les dévotes regardent d’un mauvais œil.
A plus de 2 000 kilomètres de là à Bergen, Ursa vit avec son père veuf et sa jeune sœur malade qu’elle adore. Ayant l’âge de convoler, elle est forcée à épouser Absalom, le délégué envoyé sur l’île pour faire respecter les lois de Dieu et éliminer les croyances impies. Après un long périple, le couple arrive à Vardo. La nature âpre et la rugosité de la population locale saisissent Ursa, séparée de sa famille et peu préparée à son nouveau statut de femme mariée soumise à tous les désirs de son conjoint. Son amitié amoureuse avec Maren qui lui fait enfin découvrir le plaisir et son combat en faveur des soi-disant sorcières que Absalom pourchasse l’arrachent à sa solitude et donnent un sens à son existence.
Roman historique soulignant le poids écrasant d’une religion tyrannique qui régente les consciences, « Les graciées » est aussi le récit d’une passion interdite entre deux femmes, la courageuse Ursa et la taciturne Maren, qui, au-delà des convenances, aspirent à la liberté, liberté d’aimer, de penser et de croire. En ce début de 17ème siècle engoncé dans une morale et une misogynie obscurantistes, elles sont éminemment modernes et préfigurent le siècle des Lumières.
Le mémorial de Steilneset, installé sur l’île de Vardo et réalisé par Louise Bourgeois et Peter Zumthor, rappelle cet événement tragique.
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