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Critique – Le Testament de Sully – Richard Russo – La Table Ronde
En ouvrant « Le Testament de Sully », j’ignorais qu’il s’agissait du dernier volume d’une trilogie dont le premier opus est « Un homme presque parfait » et le deuxième « À malin, malin et demi ».
Après avoir lu ce dernier sans savoir qu’il était la suite du premier que je n’ai pas lu, je peux affirmer que les trois tomes peuvent se lire indépendamment…
C’est avec un grand plaisir que j’ai retrouvé les protagonistes découverts précédemment car la grande force de Richard Russo, et qui donne toute sa saveur à ses romans, est son don pour inventer des personnages incarnant des gens ordinaires.
Ceux-ci vivent à North Bath, une bourgade au bord de la faillite qui vient de fusionner avec Shuyler Springs, sa prospère voisine.
Dans cet ultime opus, on renoue aussi avec les lieux où se réunissent les membres de la communauté pour refaire le monde autour d’une bière et de plats réconfortants symboles de la malbouffe américaine.
Peter, le fils de Sully, est de retour après que son mariage a explosé. Enseignant la semaine dans le collège du coin, il consacre une partie de ses week-ends à retaper une maison héritée de son père qu’il entend bien vendre pour fuir à tout jamais sa région natale. Ses projets tombent à l’eau lorsque l’un de ses trois fils qu’il n’a pas vu depuis des années débarque chez lui…
Avec la disparition du poste de police de North Bath repris par la commune voisine, Raymer, son chef, s’est retiré de la vie active. Il a passé le flambeau à Charice, sa brillante adjointe avec laquelle il entretient une liaison désormais en pause.
Sa dépression l’oblige à consulter une psychothérapeute qui n’arrive pas à lui retirer de la tête l’horrible Dougie, sorte de conscience malfaisante qui n’améliore pas sa santé mentale.
Si ces deux figures masculines sont au cœur du récit, gravitent autour d’elles des personnages tout aussi attachants : Ruth qui fut la maîtresse de Sully ; Janey, sa fille qui tombe toujours sur des salles types ; Tina, sa petite-fille brouillée avec sa mère, la seule de la famille qui a réussi à s’enrichir grâce à son grand-père qui amassait toutes sortes d’objets trouvés dans les poubelles sous les moqueries de son entourage ; le vieux Rub à la larme facile, orphelin depuis la disparition de Sully, son meilleur ami, et obligé de cumuler plusieurs jobs pour pouvoir s’en sortir ; Jerome, frère jumeau de Charice, qui est au bout du rouleau et ressemble à une « épave humaine ».
Et puis il y les vrais méchants que l’auteur ne ménage pas, en particulier des flics ripoux bas du plafond ne supportant pas d’être dirigés par Charice, une femme, qui plus est afro-américaine.
Enfin, il y a le fantôme de Sully qui plane sur les amis qu’il a quittés mais dont il continue de prendre soin de là-haut après avoir donné à ses proches, dont son fils Peter, une liste de gens à protéger.
Avec un humour réjouissant mais jamais méchant, Richard Russo offre une savoureuse galerie de portraits évoluant dans une société où les divisions entre hommes et femmes, entre Noirs et Blancs, entre pauvre et riches se répètent à l’infini. Sauf quand quelques étincelles d’intelligence tentent de les effacer.
Avec une vraie tendresse pour ses personnages de peu qui ne cessent de douter du sens de leurs modestes existences, il compose un tableau très réussi de l’inexorable condition humaine avec ses joies, ses peines, ses échecs, ses réussites et ses états d’âme.
Qu’est-ce qu’être Noir ? se demande Jerome.
Qu’est-ce qu’être flic ? s’interroge Raymer.
Qu’est-ce qu’être un père ? questionne Peter.
Les réponses sont peut-être dans « Le Testament de Sully »…
EXTRAITS
- Il pleure à cause d’un donut, et toi, tu pleures parce qu’il pleure à cause d’un donut.
- J’aimerais que papa soit toujours vivant, dit-elle, pour pouvoir le tuer.
- Les riches transmettent leur argent à leurs enfants. Nous, on leur transmet notre pauvreté.
- Ce que Jerome avait perdu, c’était sa Jeromité.
- Rappelle-moi ce qu’est un végan. Un végétarien, mais en pire.
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