Critique – Blonde – Joyce Carol Oates – Stock
Tout a été écrit sur Marilyn Monroe, des vérités mais aussi beaucoup de mensonges. En fictionnant le destin de ce sex-symbol et mythe du cinéma américain de l’après-guerre, Joyce Carol Oates ne la trahit pas mais la réinvente de façon magistrale en mêlant fait réels et imaginés tout en donnant la parole à l’actrice (en italiques) ainsi qu’à ceux qui l’ont connue, à la fois témoins et acteurs de l’histoire à la manière d’un choeur antique.
Mais plus qu’à la sublime actrice de « Niagara » ou de « Bus Stop », c’est surtout à Norma Jean Baker qu’elle s’attache, Marilyn Monroe étant une construction lucrative des studios hollywoodiens.
Ce récit-fleuve de près de 1000 pages dans l’édition originale commence en 1932 alors que la petite Norma Jean n’a que six ans. Elle vit avec une mère cruelle atteinte de schizophrénie paranoïde, une maladie qui la conduite à l’hôpital psychiatrique.
Une photo du père putatif de l’enfant trône dans la chambre de la génitrice. Cet homme rêvé, Norma-Marilyn l’attendra tout au long de sa courte vie qui commence dans la maltraitance pour se poursuivre dans un orphelinat puis dans une famille d’accueil dont l’élément mâle porte sur elle un regard concupiscent. Cet homme rêvé, elle pensera le trouver dans des unions ratées avec des compagnons plus âgés, sortes de pères de substitution qui ne sauront jamais protéger cette femme-enfant. Signe de ces rapports ambigus, elle les appellera tous « papa » et ne trouvera jamais d’épanouissement dans le sexe. Malgré une réputation de nymphomanie et de collectionneuse d’amants… Parce qu’elle souffre d’une endométriose qui supplicie son corps ? Elle fait l’amour comme on se noie.
Alors qu’elle entre à peine dans l’adolescence, ses formes épanouies aimantent la gent masculine. Pourtant, elle semble à peine se rendre compte de sa beauté magnétique qui lui permet d’entamer une carrière de playmate. Mais c’est le cinéma qui l’attire et c’est le septième art qui va faire d’elle la Marilyn blonde platine, le mythe Monroe, une « petite fille perdue en costume de pute » que les hommes, ogres insatiables, vont marchander et prendre plaisir à souiller. Comme pour se venger de sa perfection physique, de sa liberté et de son intelligence.
Alors qu’elle aspire à jouer des rôles sérieux (et elle en est tout à fait capable), Hollywood la misogyne ne propose à ce pendant féminin de son ami Marlon Brando que des emplois d’écervelées sexy.
Déçue par l’industrie cinématographique, rouleau compresseur annihilant les personnalités, elle convoite un avenir de comédienne de théâtre interprétant Tchekhov et, côté vie privée, rêve de donner naissance un enfant. Comme seul moyen de devenir une adulte ?
Née sous le signe du Gémeaux, atteinte d’une bipolarité qui alterne phases d’euphorie et de profonde dépression, lunatique, inconstante, terrifiée par la mort mais au comportement autodestructeur, parfois mystique, perfectionniste obsessionnelle habitée par ses rôles, mi-ange mi-démon, aspirant à devenir une femme cultivée alors que presque tous la voient comme une donzelle superficielle, exprimant un besoin d’amour irraisonné par peur de l’abandon vécue pendant son enfance, elle est un mystère pour son entourage, une magnifique incomprise.
En s’emparant du personnage de Marilyn, métaphore de la femme-objet, Joyce Carol Oates a composé un chef-d’oeuvre universel de finesse et de profondeur sur la condition du sexe dit faible opprimé par un patriarcat omnipotent. Une tragédie jusqu’au-boutiste, violente, dérangeante mais essentielle sur la destruction programmée d’un être humain dont la beauté le conduira à sa perte.
EXTRAITS
- C’était la vie normale au jour le jour que je ne savais pas jouer.
- Pourquoi faire souffrir quelqu’un d’autre ? Souffrir soi-même suffit.
- Cette pauvre gourde de gamine à qui on avait fourré dans le crâne (…) que Jésus vous « guérissait » si vous aviez suffisamment la foi.
- Je n’étais ni une poule ni une pute. Mais il y avait le désir de me percevoir de cette façon. Parce qu’on ne pouvait pas me vendre autrement je crois. Et je comprenais que je devais être vendue. Car alors je serais désirée et je serais aimée.
- Regarde-toi ! Une vache. Mamelles et con au vent.
- Et qu’est-ce que la comédie, sinon la vie vue côté rires, et pas côté larmes ?
- J’ai besoin d’être actrice parce que être seulement moi ne suffit pas.
- Il me prenait pour cette idiote de Desdemone. Mon secret, c’est que Marilyn est Iago.
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