Critique – Les Deux visages du monde – David Joy – Sonatine
Découvert avec son très prometteur premier roman « Là où les lumières se perdent » (2016), David Joy est désormais une voix qui compte dans le paysage littéraire anglo-saxon.
En cette rentrée littéraire de l’automne 2024 est édité son cinquième livre qui se déroule en 2019.
Étudiante afro-américaine en arts à Atlanta, Toya Gardner revient à Cullowhee, petite ville située au cœur des montagnes de Caroline du Nord sur la trace de ses ancêtres. Elle réside chez Vess, sa grand-mère.
Elle exprime sa sensibilité artistique et sa volonté de dénoncer l’histoire esclavagiste de l’état du Sud des US en réalisant une performance rappelant, qu’en 1929, l’église épiscopalienne méthodiste africaine de Sion et le cimetière dans lequel des Noirs étaient enterrés avaient été déplacés pour y construire une annexe de l’université.
Ce geste, qui atteste de la portée subversive de l’art, fut suivi d’autres actions, comme le barbouillage d’une statue à la gloire des Confédérés, qui dérangèrent une bonne partie de la population qu’on replongeait dans son passé peu glorieux.
Au même moment, Ernie Allison, adjoint du shérif du comté de Jackson, arrête un ivrogne tout droit sorti du Mississippi. Dans sa voiture, il trouve la parfaite panoplie du soldat du KKK et un carnet contenant les noms de notables locaux.
La première partie se termine par deux crimes qui font basculer le récit dans une autre dimension.
En lisant la quatrième de couverture des « Deux visages du monde », on imagine lire un énième récit sur le racisme systémique qui prévaut aux States, notamment dans les états du Sud.
Par rapport aux récits bien établis, David Joy prend un chemin différent en insistant sur l’intériorisation par les Blancs du mépris envers les Noirs.
Comme si la domination se transmettait génétiquement de génération en génération, en toute impunité, presque inconsciemment. Comme si les Blancs étaient aveugles, grâce à leur étonnante capacité de déni révisionniste, aux petites humiliations qui frappent les Afro-Américains.
Et ceux qui se déclarent ouverts d’esprit ne sont pas forcément meilleurs que les suprémacistes qui revendiquent leur supériorité…
Avec ce roman noir, l’auteur illustre magistralement la persistance des fractures qui gangrènent la société américaine. N’en déplaise à ceux qui pensent que les relations raciales se sont apaisées. Le racisme est tout simplement peut-être plus insidieux.
La récente élection de l’homme orange en est la preuve éclatante.
Pour incarner sa subtile démonstration, l’auteur a construit des personnages forts détestables ou honorables. Parmi les seconds, il y a la figure de Vess, la formidable grand-mère de Toya à la colère intérieure et qui porte en elle tout le poids de l’arrogance des Blancs et aussi Leah, la courage inspectrice qui ne se laisse pas intimider par les partisans du statu quo
EXTRAITS
- Il ne s’agissait pas simplement du sang que la Confédération avait sur les mains […]. C’était l’héritage, la plaie béante qui continuait de saigner près de cent cinquante ans après les faits.
- La méchanceté de ce monde était sans fin, sans limite. Il y avait toujours une noirceur encore plus noire.
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