Critique – Bohèmes – Dan Franck – Calmann-Lévy

Critique – Bohèmes – Dan Franck – Calmann-Lévy


Après avoir regardé sur Arte l’excellente série consacrée aux aventuriers de l’art moderne, j’ai eu envie de me plonger dans les livres, signés Dan Franck, dont elle est adaptée.

« Bohèmes », premier volume de la trilogie, couvre la période 1900-1930. C’est à Paris, capitale du monde artistique, et plus précisément à Montmartre que s’ouvre le récit de l’auteur des « Boro ».

Si les peintres – Poulbot, Utrillo, Valadon… – qui se situent dans la lignée de Toulouse-Lautrec ne sont pas occultés, ce sont les avant-gardes qui sont mises en valeur.

Picasso le taureau jaloux, Apollinaire malheureux avec les femmes et patriote forcené, Braque, Max Jacob déçu en amitié, Derain, pour ne citer que les plus connus, ont, via leur peinture et leur poésie, révolutionné l’art en cassant les codes, les formes pour donner naissance au fauvisme ou encore au cubisme.

Ces « anartistes » comme les appelle Dan Franck, clin d’œil à l’immense Marcel Duchamp qui se qualifiait ainsi, s’adonnent à leurs activités tout en fréquentant les cabarets et, pour certains, les maisons closes.

À part quelques exceptions, les artistes tirent le diable par la queue mais l’amitié, l’amour, les paradis artificiels et, parfois, l’engagement politique, compensent la faim, le froid et l’absence, tout au moins dans un premier temps, de notoriété. Bref, c’est la bohème comme l’a si bien chantée Aznavour.

De l’autre côté de la Seine, sur un autre mont, le Parnasse, évolue toute une faune artistique rejointe par Picasso qui s’est installé rive gauche. On croise Foujita, Modigliani le frustré qui se rêvait sculpteur et dut se contenter d’être peintre, le misérable et loqueteux Soutine, l’arriviste Cocteau et leurs égéries telles Kiki et Youki, Ils se retrouvent à « La Closerie des Lilas », au « Dôme », à « La Rotonde », puis plus tard à « La Coupole ».

Au mitan des années 1920, le surréalisme, dans la foulée du dadaïsme, influencera considérablement et durablement de nombreux domaines artistiques.

Extrêmement bien documenté, le récit de Dan Franck n’a pas l’austérité de bien des essais sur l’art.

En s’attachant davantage aux hommes, parmi lesquels on compte de nombreux étrangers, avec leurs travers et leurs qualités, leurs jalousies et leurs admirations, leurs trahisons et leurs loyautés, à leurs muses et à leurs mécènes, qu’aux œuvres, en les replaçant dans leur époque avec ses dimensions politique et sociale et en usant de son talent de conteur, l’écrivain nous embarque avec sa fougue romanesque et ses multiples anecdotes savoureuses au cœur d’un moment charnière pour l’histoire de l’art, avec la naissance d’un véritable marché matérialisée par l’afflux de collectionneurs américains dans les années 1920, et pour l’histoire tout court, la guerre de 14-18 marquant l’entrée dans le vingtième siècle.

EXTRAITS

  • L’art moderne, né sur les rives de Montmartre et de Montparnasse, est le fruit des ces brassages multiples.
  • Picasso fait comme il fera toujours […], il ne donne pas : il prend.
  • Le romancier écrira : Une robe verte et un poète écrira « Une robe d’herbes. (Max Jacob)
  • La guerre, c’est le retour légal à l’état sauvage. (Paul Léautaud)
  • Je voudrais vivre comme un pauvre, avec beaucoup d’argent. (Picasso)

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