Critique – Cabane – Abel Quentin – L’Observatoire
Découvert avec « Le Voyant d’Étampes » (Prix de Flore 2021) dans lequel il réglait son compte avec une ironie mordante au wokisme, Abel Quentin est de retour avec un sujet brûlant : l’aveuglement face à la fin de notre monde tel que nous le connaissons.
Mais à rebours de l’engouement pour les dystopies apocalyptiques, l’écrivain nous propose un voyage dans le passé.
En 1972 paraissait une somme intitulée « Les Limites de la croissance » connue aussi sous le nom de « Rapport Meadows » (l’auteur le rebaptise le « Rapport 21 »). Commandé par le club de Rome, un think tank basé en Suisse, il était le fruit des travaux de scientifiques du MIT qui proposaient plusieurs scénarios dont le plus alarmant prévoyait, compte tenu de la démographie galopante et de la croissance économique, « un effondrement des conditions matérielles d’existence » dès 2050.
À partir de leurs conclusions, qui sont bien réelles, « Cabane » imagine les destins des quatre chercheurs de fiction.
- Eugene et Mildred Dundee sont mariés. Ce sont les « stars » du groupe. Après la publication du rapport dont le succès fut immense, ils sillonnent la planète pour faire connaître les résultats alarmants de leur étude et provoquer la prise de conscience des populations et des décideurs.
Déçus de prêcher dans le désert, ils se reconvertissent dans l’élevage de porcs, en bio bien évidemment.
- Paul Quérillot, alias le pessimiste et le traître. Conscient que l’histoire de l’humanité n’est qu’une « série de suicides collectifs » et persuadé que l’alarme que lui et ses acolytes ont sonnée aura peu d’écho, il moque « l’optimisme à la con » des Dundee.
Pourquoi, en effet, cesser de jouir de la grande fête de la consommation et de l’enrichissement général pour contrer une extinction annoncée que nous ne vivrons pas parce que nous serons déjà morts ?
Sans complexe, Quérillot fait sienne la formule de Groucho Marx : « Ces générations futures, qu’est-ce qu’elles ont fait pour moi ? ».
De retour des States, le polytechnicien est enrôlé par un groupe pétrolier français avant de voler de ses propres ailes et se faire un maximum d’argent.
- Le dernier larron de ce quatuor de mauvais augure est un Norvégien du nom de Gudsonn sur lequel on ne dispose que de peu d’informations.
Cinquante ans après la publication du fameux rapport, un obscur journaliste français, qui apparaît au mitan du récit, va se saisir de son cas dans une quête obsessionnelle sur les traces de ce génie des mathématiques reconverti en activiste, un brin illuminé et fanatique, de la décroissance et, surtout, de la dénatalité.
Que nous raconte « Cabane » ? Nous sommes au bord du précipice alors que nous savions et que nous n’avons rien fait. Ou si peu. Les lanceurs d’alerte sont souvent taxés de farfelus et de peine-à-jouir ou pis, on a voulu, par intérêt et par cynisme, les faire passer comme tel.
Avec une grande maîtrise et un humour désabusé, Abel Quentin nous invite à une plongée existentielle et vertigineuse dans les errements et la cécité d’une humanité qui pille la nature en toute impunité parce qu’elle pense qu’elle lui est supérieure.
EXTRAITS
- Le bon sens ne craint pas ce qu’il ne peut pas se représenter.
- Les prophètes de malheur sont rarement écoutés.
- Il était effarant de lire un livre vieux de cinquante ans qui disait tout.
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