Critique – Chavirer – Lola Lafon – Actes Sud

Critique – Chavirer – Lola Lafon – Actes Sud


Cléo, 13 ans en 1984, a un rêve : devenir danseuse professionnelle de modern jazz. Née dans une famille modeste et sans ambition, elle vit à Fontenay-sous-Bois.

Un jour, elle croise le regard de Cathy, une femme élégante, cultivée et… manipulatrice qui fera miroiter à l’adolescente l’obtention d’une bourse distribuée par une mystérieuse Fondation Galatée. A la place du coup de pouce financier qu’elle espère, elle se retrouve devant un jury constitué d’hommes qui lui demandent de se détendre et de faire preuve de « maturité »… Moyennant quelques billets, elle deviendra finalement rabatteuse et recrutera de la chair fraîche dans le collège où elle est scolarisée.

Sur trente-cinq ans, « Chavirer » reconstruit, à la manière d’un puzzle et en bousculant la chronologie, le parcours de Cléo par ceux qui l’ont côtoyée. A défaut d’atteindre la gloire, elle mènera une vie de danseuse presque honorable en se produisant sur les plateaux de « Champs-Elysées », dans une revue, dans un cabaret…

Cherchant à effacer les souvenirs de l’enfance, elle est néanmoins hantée par le visage de Betty, une jeune métisse qu’elle a trahie.

Via la figure de Cléo, Lola Lafon s’interroge, sans juger, sur le statut d’une victime devenue coupable parce qu’on lui a fait miroiter, en la manipulant, les mirages de la célébrité et que son entourage n’a rien fait pour déceler sa souffrance. Elle souligne aussi comment l’acceptation de la pédophilie a évolué ses dernières années devenant aujourd’hui, et fort heureusement, inacceptable.

Enfin, et c’est une récurrence dans l’oeuvre de l’auteure (je pense en particulier à « La petite communiste qui ne souriait jamais »), le rapport au corps est au cœur du récit : le corps désiré, le corps torturé et fatigué par les exigences de la danse, le corps rejeté parce qu’il ne répond plus aux canons de beauté…

« Chavirer » est une lecture dérangeante et salutaire.

EXTRAITS

  • Les paillettes naissaient de ce qu’on tenait pour négligeable (…). Tout était faux, là résidait la beauté troublante de ce monde.
  • Elle semblait perpétuer un état d’enfance.
  • Etre un corps dansant, pour elle, c’était savoir s’arrêter au bord de la douleur, comme d’un orgasme.
  • Cette souffrance en veille ressurgissait à tout propos, celle d’une ancienne gamine à qui des adultes avaient enseigné la solitude des trahisons.
  • Tu es fort en calcul mental, Anton ? Quand Papa avait huit ans, Betty en avait treize. Le type, une quarantaine. Fiancé ? Pas étonnant qu’elle soit cinglée, Betty.
  • Courroie de transmission, victime et coupable, une martyre-bourreau.
  • Le passé était irréversible. Aucun pardon ne pourrait défaire ce qui avait été.
  • A peine sorties des Folies, certaines se hâtaient en direction du boulevard Rochechouart : des peep-shows tous les dix mètres…
  • L’affaire Galatée nous tend le miroir de nos malaises : ce n’est pas ce à quoi on nous oblige qui nous détruit, mais ce à quoi nous consentons qui nous ébrèche.

+ There are no comments

Add yours