Critique – De bleu, de blanc, de rouge et d’étoiles – Sarah Barukh – Harper Collins

Critique – De bleu, de blanc, de rouge et d’étoiles – Sarah Barukh – Harper Collins


Tout d’abord un grand merci à Babelio et à Harper Collins de m’avoir permis de découvrir ce livre bouleversant à propos duquel les médias sont étrangement silencieux.

Comme elle le souligne en introduction, Sarah Barukh, fracassée par la tuerie du 7 octobre 2023, a ressenti le besoin urgent d’écrire pour rendre compte de l’antisémitisme triomphant, y compris en France, et c’est par le biais de la fiction largement inspirée de faits réels qu’elle a choisi de s’exprimer.

Nous sommes le 7 janvier 2015. Les frères Kouachi viennent d’assassiner onze personnes dans les locaux de « Charlie Hebdo » et un policier à l’extérieur du bâtiment. « On a vengé le prophète » hurlent-ils.

Jeanne, psychiatre et personnage principal du récit, s’inquiète pour Léon, son père qui réside boulevard Richard Lenoir dans l’appartement qui l’abritait, lui et sa famille, jusqu’à ce que la traque des Juifs pendant l’occupation allemande ne les obligent à fuir et à se cacher en banlieue. À la suite d’une dénonciation, la milice les retrouve et embarque le père et l’un des fils. Ils ne reviendront pas.

Le logement de Léon se trouve à quelques dizaines de mètres de l’attentat, symbole du retour de la haine ou plutôt expression d’une haine larvée.

Le lendemain, à Montrouge, une policière municipale est abattue à côté d’une école juive.

Le 9 janvier, ce sont les clients d’une supérette casher du 20e arrondissement qui sont pris pour cible. Quatre d’entre eux sont tués.

À des milliers de kilomètres de Paris, Mohammed, ami de Jeanne qu’elle surnomme tendrement Mo, apprend la nouvelle du massacre. Bien qu’il ait tiré une croix sur sa famille en s’installant en Thaïlande, la culpabilité le saisit. N’est-il pas le frère de Farès, recruteur et formateur, entre autres, des Kouachi au sein de la mouvance islamiste dite des Buttes-Chaumont ?

Tout au long du récit, d’autres personnages apparaissent ; Rima, l’adolescente pakistanaise ; Isaias, un migrant érythréen diplômé en mathématiques que Clémence, la journaliste missionnée par Médecins Sans Frontières pour médiatiser la cause de ceux qui ont quitté leur pays chassés par les conflits ou la misère quel que soit leur degré d’innocence, interviewe ; Jin qui a quitté la Chine ; Thomas Ngam, patient de Jeanne et issu d’une famille d’Afrique de l’Ouest qui s’est installée en banlieue parisienne. Il ne comprend pas la radicalisation de ses amis et refuse toute assignation à une identité fantasmée. Petit délinquant, il a passé un deal avec les RG pour infiltrer « Égalité et Réconciliation », le groupuscule complotiste fondé par Alain Soral.

Tous, comme Jeanne, comme Mo, sont les victimes d’une violence générale sévissant aux quatre coins de la planète et se matérialisant sous toutes les formes, dont le fanatisme religieux, source de guerres, d’asservissement des femmes, des plus pauvres et de ceux qui pensent différemment, est le signe le plus flagrant.

Si Sarah Barukh stigmatise toutes les formes de haine, elle s’attache plus particulièrement à l’antisémitisme, dont elle perçoit encore davantage la brutalité compte tenu de ses origines qui sont celles de son double fictionnel.

Malgré ce portrait sombre mais néanmoins réaliste de notre époque, elle trace quelques pistes pour que l’avenir soit plus radieux : imposer le principe de laïcité qui permet à chacun de pratiquer la religion de son choix sans que l’une d’elle ne s’impose à tous, l’arrêt de la victimisation à tout-va qui rabaisse et qui paralyse l’action en rejetant la faute sur l’autre (les ex-puissances coloniales, le mâle blanc hétérosexuel, les « laïcards » suspectés de stigmatiser les musulmans…)…

Et surtout encourager les liens, métaphoriquement représentés par des objets qui ont traversé la planète, entre les individus qui souffrent de l’hubris de leurs dirigeants et des extrémistes comme l’a si bien raconté Colum McCann dans « Apeirogon » à propos du conflit israélo-palestinien.

« Apprendre à vivre quelques instants, côte à côte, sans que rien de grave ne se passe » écrit Sarah Barukh qui note plus loin : « Planter les graines de beau pour que le beau pousse »..

Est-ce un vœu pieux ? La question est posée, l’avenir le dira mais la lecture du passé ne pousse pas à l’optimisme.

EXTRAITS

  • Stanley avait violé une fille au collège. Il avait frappé des gosses plus petits, aussi. Un connard devenu soudain une âme à secourir pour les Occidentaux, parce que l’Érythrée avait sombré. Ce monde était fou.
  • Comment, sous réserve de tolérance envers les minorités, on punit la majorité d’un peuple.
  • Imputer à l’autre la responsabilité de ses manquements et se servir de Dieu pour empêcher tout questionnement.

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