Critique – La plus secrète mémoire des hommes – Mohamed Mbougar Sarr – Philippe Rey
Le titre du quatrième roman de Mohamed Mbougar Sarr est emprunté à Roberto Bolano, le génial écrivain chilien décédé en 2003 à l’âge de 50 ans qui considérait la littérature comme un engagement.
L’histoire que nous raconte le finaliste du Goncourt 2021 est relativement simple. C’est sa construction labyrinthique qui en fait une fresque remarquable par son ampleur et sa singularité.
Nous sommes en 2018 à Paris. Diégane Latyr Faye, jeune auteur sénégalais, découvre l’existence d’un livre mythique au titre énigmatique paru quatre-vingts ans plus tôt. Encensé par certains, blâmé par d’autres qui crient au plagiat, « Le Labyrinthe de l’inhumain » sort du circuit. A l’instar de son créateur T. C. Elimane.
Diégane va alors mener une quête qui tourne à l’obsession pour le retrouver. Cette recherche passe par des rencontres avec ceux qui ont connu Elimane de près ou de loin et elle emmène le limier improvisé, physiquement ou mentalement, de Paris à Amsterdam en passant par l’Argentine et le Sénégal.
Véritable ode aux livres et à ses pouvoirs supposés ou pas, « La plus secrète mémoire des hommes » place la littérature au cœur de son propos. La littérature est vue comme un combat permanent, un labeur exténuant, un sacerdoce de tous les jours. « C’est ça, vivre en écrivain. Faire de tout moment de la vie un moment d’écriture » affirme Diégane.
Le livre s’interroge aussi sur les relations complexes qui unissent les ex-peuples colonisés et les ex-occupants qui les regardent avec condescendance tout en les cantonnant dans une identité rêvée. Cette démarche réductrice vaut aussi pour les écrivains issus du continent africain et rangés dans les rayons francophonie. Dans une récente interview donnée au JDD, Mohamed Mbougar Sarr souligne cette tendance qui le réduit à la couleur de sa peau et à ses origines alors qu’il écrit dans la même langue que Victor Hugo qu’aucun libraire n’aurait l’idée saugrenue de ranger dans un espace francophonie ! « En littérature tout classement est une réduction » constate-t-il.
A contrario, les Africains qui ont quitté le continent pour obtenir la reconnaissance des Occidentaux sont souvent considérés comme des traîtres par ceux qui sont restés au pays.
Récit d’apprentissage, enquête policière, conte fantastique, « La plus secrète mémoire des hommes » est un peu tout cela. Servi par une écriture magnifique, il mérite amplement le Prix Goncourt qui lui sera peut-être décerné aujourd’hui.
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