Critique – Sept gingembres – Christophe Perruchas – Le Rouergue
« Je m’appelle Antoine, je vis depuis quelques semaines au milieu du 14ème arrondissement de Paris, dans cet endroit que j’ai toujours regardé avec fascination avant d’avoir à y dormir ». Cette phrase qui surgit au tout début de « Sept gingembres » attise d’emblée notre curiosité.
Un peu plus plus loin, le narrateur se pose la question suivante : « Qu’est-ce qui fait qu’un instant on est dans le vie qu’on dit normale, qu’on s’en échappe, sortie de route, qu’on rit trop fort et puis qu’on gifle les gens ? ». Sur environ 200 pages, Christophe Perruchas, qui signe ici son premier roman, nous raconte la chute d’un homme en apparence bon père de famille, mari attentionné, rôles qu’il met valeur sur les réseaux sociaux, et brillant publicitaire. En fait, il est un monstrueux prédateur sexuel qui a le « malheur » de vivre en pleine vague #metoo.
Par la grâce de la fiction, le lecteur habite le cerveau du cynique, cupide, vulgaire et immoral Antoine S. Une expérience à la fois glaçante, dérangeante et vertigineuse.
A la fois moteur et produit d’une époque en, espérons-le, perte de vitesse, Antoine S. symbolise le culte du mâle blanc dominant sûr de sa supériorité et qui agit en toute impunité.
« Victime » d’un raz-de-marée qui a libéré les femmes de l’emprise des hommes de son espèce, mouvement qu’il ne comprend pas, il ne pourra pas, comme le fait le gingembre au Japon, s’offrir une virginité en faisant table rase du passé. Sainte-Anne, où il a l’habitude de visiter un ami dans une démarche pour une fois désintéressée, serait alors son seul refuge et un moyen d’oublier le passé (j’ai appris que l’hôpital serait propriétaire du « plancher de Jeannot », émouvant et fascinant témoignage d’art brut réalisé par un psychotique).
Pour revenir au cœur du récit, j’ai bien aimé la manière dont l’auteur décrit une certaine frange de la population parisienne tendance bobo branchée mais néanmoins « première de cordée » en se moquant gentiment de ses goûts en matière de vin (« biodynamique of course mais aussi, et peut-être surtout, conservé en amphore »), des lieux qu’elle fréquente, de ses destinations de vacances et de ses méthodes obscènes de management (« on est une des agences avec le plus de filles au codir ») et de communication (« La RSE, ça devient un passage obligé si tu veux être référencé sur les AO »). Ce tableau saisissant de vérité m’a fait penser aux romans de Bret Easton Ellis qui dézinguent les travers de nos sociétés modernes.
EXTRAIT
– Le #metoo, c’est le bouton nucléaire.
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