Critique – Dans le ventre de Klara – Régis Jauffret – Éditions Récamier

Critique – Dans le ventre de Klara – Régis Jauffret – Éditions Récamier


« C’est toujours la faute des mères ». Cette affirmation péremptoire qui ne supporte aucune contestation, on peut encore l’entendre ici ou là pour justifier le handicap (on peut penser à l’autisme, trouble dont on a longtemps imputé la responsabilité aux femmes) ou le comportement de leur progéniture.

En s’attachant à la figure de la génitrice de celui qui fut le plus grand génocidaire de tous les temps, à savoir Adolf Hitler, Régis Jauffret a composé un huis clos asphyxiant et extrêmement bien documenté sur la famille du chancelier du Troisième Reich.

Même si son nom n’est jamais prononcé…

« En juillet 1888, aux alentours de la Saint-Jacques, Oncle me fit grosse ». C’est par cette phrase laconique que commence le récit. Klara, qui subit sans cesse les assauts d’Alois, est bien la nièce de celui-ci. Adolf serait donc né d’un inceste et d’un viol, même si les mots ne sont jamais cités.

Vingt-trois ans séparent les deux parents qui se sont mariés en 1885 alors que Klara était enceinte de son premier enfant qui mourut en bas âge ainsi que le deuxième. Au total, le couple eut six enfants dont quatre succombèrent de la diphtérie. Seuls Adolf et Paula survécurent. Si le seul rescapé était décédé, la face du monde aurait été changée…

Confite dans la religion catholique, Klara se rend constamment à l’église pour recevoir la confession d’un prêtre qu’elle craint, de même qu’elle redoute les réactions de son mari.

Elle trouve une forme de réconfort dans l’écriture, un dérivatif qu’elle cache à son entourage parce que, selon elle, formatée par la morale punitive qui prévaut, c’est un péché. Dans le système patriarcal triomphant, la femme n’est qu’un ventre et la gardienne du foyer.

En utilisant le subterfuge de suivre la grossesse de la mère, l’auteur échappe à la quasi-impossibilité d’affronter directement la description de la Shoah.

En racontant le quotidien de Klara à la première personne et en faisant parler Alois Hitler dont les propos préfigurent les délires de son fils, Régis Jauffret a truffé son récit de flashes fulgurants sur l’extermination des Juifs.

Un exemple : « La joie des SS à peine sortis de l’adolescence de courser ces enfants nus échappés du bunker pour leur fracasser le crâne et ils éprouvent un plaisir redoublé à enfourner leurs corps sans vie et leurs parents les rejoindront quand ils auront fini de mourir asphyxiés et elle rhabilla le bébé qu’elle berça ensuite et qui se rendormit ».

C’est vertigineux et dérangeant et l’écriture, qui m’a fait penser à Elfriede Jellinek, est virtuose.

EXTRAITS

  • Pour nous châtier, Dieu nous inflige de nous reproduire à la manière des animaux.
  • Une femme grosse porte en son ventre le péché charnel.

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