Critique – Le Mage du Kremlin – Giuliano da Empoli – Gallimard

Critique – Le Mage du Kremlin – Giuliano da Empoli – Gallimard


À la lecture du premier roman de Giuliano da Empoli, on sort groggy. Comme si on avait avalé cul sec un shot de vodka.

Ex-conseiller de Matteo Renzi, l’essayiste était tout désigné pour se glisser dans les coulisses du pouvoir russe.

La situation de l’Italie avec ses défilés de gouvernements n’a certes pas grand chose à voir avec l’implacable autocratie de Vladimir Poutine mais l’intelligence du politique de l’auteur lui a permis de décortiquer les ressorts d’un système pour mieux comprendre ce qui a amené le dictateur à envahir son voisin ukrainien en février dernier.

C’est en se glissant dans la tête de Vadim Baranov, double fictionnel de Vladislav Sourkov, que le Transalpin a composé une fresque introspective qui donne le vertige.

Pendant près de quinze années, Vadim Baranov a conseillé le Tsar alias Vladimir Poutine. Comment ce « théâtreux » reconverti en producteur de reality-shows a-t-il pu devenir le «nouveau Raspoutine » de l’homme au regard d’acier ? 

Tout commence en 1991 avec l’éclatement de l’URSS. Un vent de liberté souffle sur la Fédération de Russie. Pour le meilleur et, surtout, pour le pire. Les milices privées répandent la violence et des malins s’enrichissent en toute impunité alors que le petit peuple souffre.

Parmi les multimilliardaires figure Boris Berezovsky, soutien de Boris Eltsine. Ce dernier, à la santé chancelante et à l’alcoolisme manifeste, devient la risée du monde entier. Rappelez-vous cette célèbre scène télévisée où Bill Clinton est pris d’un fou rire irrépressible déclenché par un Eltsine balbutiant.

La Russie, autrefois crainte, est humiliée.

Il est grand temps de trouver un successeur au « vieil ours » pour que les Russes, qui aspirent à l’ordre, redeviennent fiers de leur pays. Comment faire ? En réalisant un tour de prestidigitation consistant à raconter une histoire faisant croire que la Russie est toujours une grande puissance, alors que la situation économique est catastrophique.

Qui va pouvoir narrer cette fiction avec suffisamment de force et de crédibilité pour que le mythe devienne réalité ?

Le richissime Boris, flanqué de Vadim, a trouvé la perle rare en la personne du chef du FBS, ex-KGB. Avec sa « mine d’employé » l’individu ne ressemble pas encore au Tsar qui fera frissonner ses interlocuteurs. Pourtant, Vadim devine déjà dans son regard une « qualité minérale ». C’est pour le futur Président de la Fédération de Russie que le conseiller va mettre en pratique le concept de verticale du pouvoir. Pour le mentor, l’imaginaire de la société russe s’articule autour de deux dimensions : l’horizontale qui correspond à la proximité du quotidien et la verticale à l’autorité. Constatant qu’à partir de Gorbatchev c’est la première qui s’est imposée, il recommande d’appliquer les recettes de la seconde.

Le pâlot bureaucrate mettra en œuvre ces préconisations avec une facilité déconcertante. Il commencera par la Tchétchénie. Suivra le bannissement des oligarques trop critiques, Berezovsky en tête.

Au plan international, Poutine entend bien effacer des années de vexations de la part de la communauté internationale. Cela passe par l’affirmation d’un patriotisme exacerbé et d’une volonté de reconstituer l’ancien empire. Les Occidentaux ne l’ont pas compris et la récente agression contre l’Ukraine est la preuve que Poutine n’a pas cédé.

Le symbole de cette grandeur soi-disant retrouvée atteindra son paroxysme avec la kitchissime cérémonie d’ouverture des JO de Sotchi.

C’est en l’observant que Vadim constate que Poutine appartient bien à « la race des grands acteurs », celle qui considère la politique comme un art, l’art de raconter des histoires auxquelles le peuple russe croira. Pour obtenir cette adhésion, tous les moyens sont bons, dont l’instrumentalisation des opposants présentés comme des suppôts d’un Occident offensant et belliqueux.

Après avoir servi le Tsar, Vadim démissionne, probablement lassé par un Poutine de plus en plus seul et atteint d’une telle paranoïa qu’il ne donne sa confiance qu’à son labrador !

Avec « Le mage du Kremlin », brillant récit mêlant intime et géopolitique, il est une nouvelle fois prouvé que la littérature est le meilleur moyen de saisir une forme de vérité dans toute sa complexité.

EXTRAITS

  • La victoire d’une idée en déterminait l’embourgeoisement automatique.
  • Pays de muets, pays de la belle endormie, merveilleux mais sans vie parce qu’y manque le souffle de la liberté.
  • Ils avaient grandi dans une patrie et se retrouvaient soudain dans un supermarché.
  • La politique a un seul but : répondre aux terreurs de l’homme.
  • Il n’y a pas de dictateur plus sanguinaire que le peuple.
  • L’empire du Tsar naissait de la guerre et il était logique qu’à la fin il retournât à la guerre.

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