Critique – Vers la violence – Blandine Rinkel – Fayard

Critique – Vers la violence – Blandine Rinkel – Fayard


Pendant l’enfance, « la barbichette » est un incontournable, mais quand Gérard et Lou s’y adonnent ce jeu devient un combat. Le premier est le père, la seconde la fille.

« Vers la violence » va nous raconter l’histoire de ces deux-là.

Lou est née de la seconde union du père avec Annie. Il a près de la quarantaine à sa naissance.

Comme toutes les petites filles, Lou est amoureuse de son géniteur et veut l’épouser quand elle sera grande. Gérard ne dément pas. Bien au contraire, il affirme même qu’il « n’y aurait aucun problème » !

D’emblée, le lien qui unit le père et la fille est ambivalent et toxique.

Gérard est policier au commissariat de La Roche-sur-Yon, préfecture très calme de la Vendée.

Pour pimenter sa vie, il imagine des histoires qu’il raconte à sa fille et s’invente un personnage de type sûr de lui et de gros dur flamboyant à la manière du Belmondo du « Magnifique ».

Bref, c’est « un mec, un vrai » et un menteur pathologique qui confie « qu’il a travaillé comme espion » ou encore « qu’il a tué des gens ». Sur tous ces bobards, la fille devra faire silence. Son seul confident sera Ardent, le chien malinois que Gérard s’ingénie à maltraiter.

Pour que Lou soit aussi forte que lui, il l’éduque comme un soldat, l’embarquant dans ses délires, entre amour et violence, à la vie à la mort.

Il l’encourage à pratiquer des sports de combat, à manger du cheval, « potion magique pour les vrais hommes » à propos duquel elle écrit, dans une lettre ultime à son géniteur : « une bête qui pouvait rêver, a fortiori debout, n’était pas une bête qu’on pouvait manger ».

« Magicien », « sorcier de l’univers », « homme-fiction » qui fait sien cet aphorisme d’Einstein : « l’imagination est plus importante que le savoir », c’est ainsi que la gamine baptise son père.

Dans ses yeux, elle devient l’héroïne d’un film d’aventures. Une belle et joyeuse enfance dans un monde merveilleux !

Pourtant, tout n’est qu’imposture. Ou presque, car il y a toujours du positif à tirer d’une telle expérience. Même si on s’en aperçoit beaucoup plus tard.

L’enfant, devenue adolescente, prendra en effet conscience de la malignité de son père et cherchera à quitter cet ogre qui la dévore. La reconstruction passera par la pratique de la danse, art de la maîtrise du corps, par la fuite et par l’amour, moyen de mettre à distance le spectre d’un père obsédé par la mort de ses aînés dont il est responsable.

Mais, malgré son éloignement, Lou ne peut se soustraire complètement à son empreinte. Elle va même jusqu’à reproduire les mêmes manies, les mêmes colères, la même appétence pour la bagarre, la douleur physique ayant la vertu de lui faire oublier son passé.

« J’appris la méchanceté » dit-elle, avouant d’avoir donné des coups dans la gueule du chien.

Plus loin, elle confie que l’empathie lui est étrangère. Plus loin encore, elle confesse des conduites sexuelles à risque, expression d’un rapport au corps mortifère.

Quelle que soit sa souffrance due à une jeunesse entre une mère maltraitante et un père alcoolique ainsi qu’à la culpabilité qu’il tait dans la mort de ses enfants, l’adulte qu’est Gérard n’a pas le droit de mentir à son enfant, de la manipuler, de dicter ses moindres faits et gestes, de la prendre pour un pote auquel on peut tout raconter, de lui interdire de venir à son enterrement, de trahir sa confiance, de mettre sa vie en danger sous le prétexte de l’aguerrir ou encore de lui tordre le bras pour un regard réprobateur.

Pourtant, comme Lou, on ne parvient pas à détester complètement cet homme frustré qui n’est pas à la hauteur de ses ambitions, qui a projeté sur sa fille sa volonté de puissance et qui fait tout pour qu’elle soit invincible afin ne pas finir dans un cercueil comme sa demi-sœur et son demi-frère.

Gérard est en fait un pauvre type, un médiocre incapable de dominer ses pulsions, un trouillard voulant donner le change, un lâche capable de laisser une jument agoniser sans rien faire, un homme dont Lou a honte. Reste la joie qu’il sait si bien infuser dans ses moments d’euphorie.
À l’instar de la relation ambiguë entre le père et la fille, « Vers la violence » n’est pas un livre simple et manichéen. Il souligne combien la vie peut-être complexe et combien les chemins ne sont pas tout tracés.

Avec des phrases tels des uppercuts, le fond et la forme ne font qu’un.

Récit de la transmission et du poids de l’enfance dans la construction de l’adulte, le dernier roman de Blandine Rinkel, à la puissance évocatrice, se lit en apnée comme un parfait thriller.

EXTRAITS

  • La génération des boomers occidentaux serait composée en grande partie d’idéalistes et d’égocentriques. Gérard était assurément l’un et l’autre.
  • Est-ce qu’une partie de ma mémoire est coupable de sympathiser avec mon propre père tandis que la seconde serait innocente, victime du même homme ?
  • Suis-je coupable d’être la fille de mon père ?
  • Gérard, je ne le réaliserais qu’adulte, vivait dans un huis clos avec ses enfants décédés.
  • Cette joie, cruelle mais contagieuse, irradia ma petite enfance. […] Cette joie aurait fait passer la violence pour de l’extase.
  • On ne se remet jamais de la violence qu’on inflige aux autres, fût-ce à un animal. Les coups qu’on donne sont avant tout à soi-même.
  • Ma candeur prit fin le soir où mon père se mit à me répugner.
  • La danse, pour moi : une technique de survie.

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