Critique – Les Suprêmes chantent le blues – Edward Kelsey Moore – Actes Sud
Quatre ans après la publication des « Suprêmes », Edward Kelsey Moore nous revient avec une suite aux aventures des trois amies désormais sexagénaires qui, cette fois-ci, chantent le blues. Une façon de parler qui est un clin d’oeil à un style musical issu des chants des esclaves noirs et à l’intrusion d’un vieux bluesman, fil rouge de l’histoire.
Portée par la voix d’Odette, la scène inaugurale nous emmène dans une église où est célébré le mariage improbable de la très pieuse Beatrice, mère de Clarice, et de Forrest, tenancier d’un « club pour gentlemen »… Plus de 160 ans à eux deux !
Dans le sanctuaire résonne la voix ensorcelante d’El Walker chantant « The Happy Heartache Blues ». De retour à Plainview, Indiana, après quarante années d’absence, le musicien est au bout du rouleau après avoir abusé de l’héroïne et du whisky. Rongé par le diabète, il se souvient de l’immense gâchis que fut sa vie et de ce fils qu’il a abandonné après lui avoir balafré la joue avec un rasoir. Ce rejeton n’est autre que James, ancien flic et mari d’Odette.
Les retrouvailles entre les deux hommes ne seront pas de tout repos, l’un étant miné par la culpabilité et le remords, l’autre étant incapable de pardonner. Ce sont bien les relations d’un père et de son fils ainsi que l’influence d’une enfance compliquée dans la construction de l’adulte qui sont au cœur de ce roman. Par conséquent, le trio féminin est un peu mis entre parenthèses. Et on peut le regretter. D’autant plus qu’il ne se passe pas grand chose dans les vies des « Suprêmes ». Odette, lestée de quelques kilos supplémentaires, est plus que jamais en communication avec le fantôme de sa mère, flanquée d’Eleanor Roosevelt, et toujours donneuse de leçons. Elle est aussi amie avec une certaine Audrey Crawford, ex-Terry Robinson, fâchée avec sa famille. L’occasion pour l’auteur de poser la question si actuelle du genre. L’élégante Barbara Jean, fille de prostituée, fait de bonnes œuvres avec la fortune de son mari, « le roi des petits Blancs craquants » et s’attache au bluesman qui a vécu avec sa mère lorsqu’ils étaient placés dans une horrible famille d’accueil. Quant à Clarice, elle est libérée du partage d’une maison commune avec Richmond, son époux volage, et elle se consacre enfin à sa carrière contrariée de concertiste. Avec le soutien de ses merveilleuses amies. Cependant, la pianiste continue à douter d’elle…
Pour résumer l’esprit du roman et conclure, je dirais avec Marguerite Duras : « Il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours… ». Un sujet grave que l’auteur aborde souvent avec humour. Pour apporter un peu de légèreté à son histoire qui aura certainement une suite.
EXTRAITS
- Le blues, c’est ce que devient une chanson d’amour une fois que le chanteur s’en est pris plein la gueule.
- S’il y a bien une chose qu’un joueur de blues sait faire, c’est vous montrer que vous êtes foutu dès la naissance.
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