Critique – Yoga – Emmanuel Carrère – P.O.L.

Critique – Yoga – Emmanuel Carrère – P.O.L.


Début 2015, là où commence le récit, Emmanuel Carrère s’apprête à suivre un stage Vipassana dans le Morvan.

La méditation, il la pratique depuis de nombreuses années. Le yoga aussi. Mais, cette fois-ci, la session promet d’être intensive et quelque peu austère. La narration de ce moment, qui m’a moyennement intéressée, vient clore « un cycle extrêmement favorable qui durait depuis bientôt dix ans » pendant lequel l’auteur n’avait « pas connu récemment d’épisode dépressif », travers qui a plombé une partie de sa vie.

La réalité la plus sombre va le rattraper. Le 7 janvier, les frères Kouachi pénètrent dans les locaux de Charlie Hebdo et assassinent huit membres de la rédaction dont Bernard Maris, un type formidable qu’il a connu par l’entremise de l’une de ses amies, compagne de l’économiste.

La « petit livre souriant et subtil sur le yoga » qu’il prévoyait d’écrire va se muer en compte rendu d’une descente aux enfers. Hospitalisé début 2017 à Sainte-Anne, il est détecté « bipolaire . A 60 ans ! Il peut enfin mettre des mots sur cette souffrance psychique qui le visite régulièrement. Petite question : à quoi sert donc le yoga qui est censé bloquer les « fluctuations mentales », les vrittis ? Sûrement pas à étouffer le tempérament pessimiste de l’auteur qui pense, comme Van Gogh, que « la tristesse durera toujours ». Peut-être à devenir un homme bon, lui qui se définit comme un être « narcissique, instable, encombré par l’obsession d’être un grand écrivain », lui dont le métier est de raconter des histoires par le biais de l’écriture alors que la méditation est tout le contraire.

Persuadé, avant sa retraite Vipassana, que le yoga et la méditation sont des modes « d’accès au réel », il n’en est plus si certain à sa sortie. Et de remarquer qu’il y aurait « une plus grande teneur en vérité (…) chez Dostoïevski que chez le Dalaï-lama ». Et de se moquer gentiment du « cénacle de méditants occupés à fréquenter leurs narines et à mastiquer en silence leur boulghour au gomasio ». C’est ce sens de l’autodérision et de l’humour que j’ai aimé chez Emmanuel Carrère qui conclut : « ce n’est pas une très bonne publicité pour le yoga ».

J’ai aussi apprécié ce moment où il décide de partir pour Léros, une île grecque où vit Frederica Mojave qui anime un atelier d’écriture pour les migrants. C’est la rencontre émouvante de deux solitudes qui vont relativiser leurs blessures en écoutant et en aidant de jeunes hommes qui, eux, ont tout perdu sauf la rage de vivre et, c’est aussi, peut-être, la réconciliation de l’auteur avec lui-même, celui qui tente de raccommoder les parts d’ombre et de lumière. Un message universel sous des dehors d’introspection narcissique.

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