Critique – À la table des loups – Adam Rapp – Seuil
Et si, avec « À la table des loups », on tenait le grand roman américain de la rentrée littéraire de l’automne 2025 ?
Premier texte d’Adam Rapp traduit en français, cette somme d’un peu plus de cinq cents pages parcourt une soixantaine d’années, de 1951 au début du 21e siècle, et une géographie qui va de l’État de New York à celui du Mississippi, en passant par l’Illinois ou encore le Vermont, avec un petit détour à Londres.
Les Larkin forment ce qu’on appelle une famille de la classe moyenne. Alors que le père taiseux s’épuise au travail, la mère élève ses six enfants dans une foi chrétienne rigoureuse, ce qui ne les empêchera pas de prendre des directions différentes.
Myra, l’aînée, est une seconde maman pour ses frères et sœurs. Son dévouement pour les autres, elle l’exercera plus tard comme infirmière.
Fiona, la rebelle, tentera vainement de percer dans le théâtre.
Lexy pourra s’extraire du milieu ordinaire dont elle est issue en faisant un beau mariage.
Joan, handicapée mentale, sera la seule à rester avec sa mère dans la maison d’Elmira.
Le bébé Archie meurt au tout début du roman.
Et puis, il y a Alec, cet enfant étrange au regard glaçant, celui que personne n’aime, à part peut-être Myra, celui qui est éduqué à la dure par une mère intransigeante qui décide de le chasser après qu’il eut volé la quête de l’Église.
Pour l’unique fils de la famille, ce rejet marque le début d’une longue descente aux enfers. Pour lui et pour ceux qui croiseront son chemin, de préférence s’ils sont juvéniles…
Le récit s’ouvre en compagnie de Myra, treize ans. Alors qu’elle rentre chez elle, une averse s’abat. Un beau garçon qui se fait passer pour Mickey Mantle, star montante du baseball, propose de la raccompagner en voiture.
Dans la nuit, des voisins sont assassinés…
Myra l’a-t-elle échappé belle ?
Cette incursion de la violence dans l’histoire est la première d’une longue série qui frappe plus ou moins directement les Larkin, cette famille dysfonctionnelle et éclatée qui fonctionne sur les non-dits et pour laquelle la transmission est détraquée.
Sous-jacente ou explosive, la sauvagerie et la cruauté sont toujours présentes.
Avec un habile sens de la description et des détails, ceux qui convoquent les odeurs et les aspects les plus abjects, Adam Rapp a élaboré une intense fresque entre roman noir et saga familiale en partie autobiographique, comme il le confie dans sa note glaçante en fin d’ouvrage, qui plonge le lecteur, via le personnage d’Alec, dans les ténèbres les plus sombres.
Pourtant, Alec n’est pas né monstre, il l’est devenu par manque d’amour, parce qu’il a été souillé par ceux qui devaient le protéger…
En parallèle, il fait des États-Unis de ces dernières décennies un vertigineux portrait : religion punitive dont les représentants usent et abusent de leur autorité, notamment sur les plus jeunes ; violence protéiforme (sociale, contre les femmes, pédocriminalité, peine de mort, prolifération des armes à feu, meurtres de masse…) ; rêve américain resté à l’état d’illusion ; guerres – la seconde, celle de Corée, celle du Vietnam – qui brisent les hommes ; travailleurs qui choisissent un job en fonction de la protection sociale qu’il offre (démarche qui nous semble, à nous Français, un brin curieuse)…
Pourtant, au cœur de ce sinistre tableau, percent quelques éclairs d’humanité.
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