Critique – Elle a menti pour les ailes – Francesca Serra – Anne Carrière

Critique – Elle a menti pour les ailes – Francesca Serra – Anne Carrière


Garance, 15 ans en 2015, est en seconde dans un lycée d’une ville balnéaire du sud-est de la France.

Elle vit avec sa mère, professeur de danse qui lui donne des cours. Elle a une meilleure amie dont elle est inséparable. Elle est amoureuse d’un garçon plus âgé qu’elle. Elle est une « beauté rare » et « sidérante » sans en être vraiment consciente et s’est inscrite au concours régional organisé par Elite. Et comme tout membre de la génération Z, elle est connectée en permanence et plébiscite WhatsApp, Twitter, Snapshat et Instagram où elle se met en scène tout en faisant fébrilement le compte des likes et autres commentaires élogieux « pour échapper à l’oubli », pour laisser une trace, pour devenir immortelle en idéalisant sa personne. Elle manque la crise de tachycardie lorsqu’elle s’aperçoit que Maud Artaud la « follow » sur Insta. Cette élève de terminale, admirée de tous, l’invite à sa fête d’Halloween. C’est lors de cette soirée qu’elle va être acceptée par la bande de Maud. Pour Garance, c’est le début de la chute.

Pour une raison que je ne dévoilerai pas, elle va être la victime d’un ignoble harcèlement qui va ruiner sa « réputation », objectif ultime des réseaux sociaux, auprès de ses pairs au comportement grégaire et, finalement, très conformiste.

« Elle a menti pour les ailes » est incontestablement un roman générationnel qui a le mérite de faire découvrir aux lecteurs le fonctionnement de ceux qui sont nés avec le numérique et qui ne semblent vivre que pour les possibilités que leur offre ce petit écran, sorte de gri-gri qu’ils serrent dans leurs mains. L’exploit, d’autant plus qu’il s’agit d’un premier roman, est que l’auteure parvient à magnifier, sans manichéisme et avec ironie, les codes des ados et leurs inventions verbales du style « il est imberbe à toute critique » grâce à une écriture étonnante de maîtrise et qui sonne toujours juste.

Au-delà du portrait précis et vertigineux des « Z », le récit contient tous les ingrédients du conte initiatique.

Petit bémol : j’ai été un peu désorientée par les cent dernières pages.

EXTRAITS

  • Car toutes partagent cet ambigu dessein, façonné par leurs génitrices, qu’elles transmettent à leurs descendantes et qui tient en un ordre tacite : « Tu seras une pute ma fille ».
  • Un jour on a quinze ans et on ne sait plus qui on est.
  • Elle presse le téléphone entre ses seins et balance légèrement le buste, comme si elle tenait au chaud un tout petit animal contre son cœur.
  • En fait, je trouve ça un peu triste de vouloir être mannequin. Ca fait rêve d’Ukrainienne.
  • Des disputes entre filles qui s’unfollow sur Insta, des drames parce qu’on n’est pas invitée à une fête, des trahisons, des jalousies, un casting dans un centre commercial qui prend toute l’importance du monde…
  • Même les animaux en voie de disparition, ils ont besoin de likes, pour leur cause soit soutenue.
  • La cyberviolence touche un élève sur dix et les victimes connaissent trois fois plus de risques de faire une tentative de suicide.
  • Que les êtres humains se réunissent enfin autour de leurs bassesses, de leurs hontes, de leurs complexes, de leur connerie, c’est la chose la plus poétique qui soit arrivée à l’humanité.
  • Elle n’a pas « disparu », ils l’ont bannie. La vérité (…), c’est que ce n’est même pas un crime, qu’ils ont commis. C’est l’exécution d’une nouvelle loi. Leur loi.

+ There are no comments

Add yours