Critique – Le Cœur ne cède pas – Grégoire Bouillier – Flammarion

Critique – Le Cœur ne cède pas – Grégoire Bouillier – Flammarion


Fleuve, monstre, obèse, monumental, vertigineux, OLNI, tous ces qualificatifs pourraient s’appliquer au dernier roman de Grégoire Bouillier qui compte plus de neuf cents pages.

Faites fi de la dimension gigantesque du « Cœur ne cède pas », laissez-vous porter par la folie obsessionnelle qui anime ce projet gigantesque et vivez une expérience de lecture surprenante.

Tout commence en 1986. L’auteur écoute une émission des « Nuits magnétiques » diffusée sur France Culture où il est question d’une femme s’étant laissée mourir de faim près d’un an plus tôt, et dont le cadavre fut retrouvé dix mois plus tard dans son petit appartement parisien du 18ème arrondissement.

En 2018, le souvenir de ce moment radiophonique lui revient comme un boomerang. C’est le début d’une longue quête conduite par un certain Baltimore, détective embauché par Grégoire Bouillier mais qui n’est autre que le double fictionnel de Grégoire Bouillier souhaitant se protéger d’éventuelles poursuites judiciaires de la part de la petite-fille de Marcelle Pichon (vous suivez ?).

Flanqué de Penny, sa délicieuse assistante, il tente de lever l’énigme de l’ancien mannequin de la maison Jacques Fath.

Non contente de s’être suicidée à petit feu, la sexagénaire a tenu le journal de son agonie, journal introuvable « de la vie se regardant mourir ». Pourtant, il aurait pu éclaircir les raisons qui poussent quelqu’un à se tuer pianissimo.

Faute de témoignage de la disparue, le narrateur va remonter les fils de son existence pour écrire ce que fut son destin. Mais la réalité est souvent complexe et insondable. Les quelques indices glanés au fur et à mesure des recherches ainsi que le recours à des « sciences » (graphologie, morphopsychologie, astrologie, radiesthésie…) jugées plus ou moins farfelues ne suffisent pas à percer le mystère de la désespérée.

À défaut de saisir la vérité sur cette dernière, le narrateur va apprendre beaucoup sur lui, Marcelle, avec laquelle il a de nombreux points communs, n’étant peut-être qu’un alibi pour mieux se connaître.

Avec ses références littéraires et cinématographiques ainsi que ses digressions historiques, géographiques, anthropologiques, scientifiques, religieuses, généalogiques, sociologiques, psychologiques et philosophiques rythmées par un humour qui allège le tragique du sujet, avec un sens de l’autodérision et une grande intelligence du monde dans lequel nous vivons, Grégoire Bouillier nous embarque dans ses délires compulsifs pour un voyage spatio-temporel réjouissant et une aventure palpitante dont on conserve, longtemps après avoir refermé le livre, la saveur.

EXTRAITS

  • La réalité est en elle-même une construction, elle est une fiction.
  • Le milieu social n’est pas un décor dans lequel évolue des personnages, ainsi qu’il est généralement montré, mais une force agissante qui structure les individus, leur destin et leurs sentiments.
  • Quand la raison se met à croire et la foi à raisonner, le crime contre l’humanité n’est jamais loin.
  • Tous ceux qui ont rêvé d’une société parfaite ont fini par instaurer des dictatures.
  • Marcelle […] ne fut peut-être jamais aussi vivante […] que pendant les quarante-cinq jours où elle souffrit et triompha de sa faim.
  • Si ce monde est réellement horrible […], c’est parce qu’il n’en finit pas de tuer l’oiseau bleu en nous.
  • Toute catastrophe a ses bons côtés. Il faut juste être assez esthète pour l’apprécier.
  • Autant dire que les violeurs et leurs victimes seront bientôt les seuls habilités à produire, réaliser et interpréter des films sur le viol. Alors que c’est précisément en se mettant à la place de quelqu’un d’autre qu’on arrive à comprendre ce qu’il vit et ressent. Qu’on mesure à la fois la distance et la proximité. Qu’on comble le fossé. Sort soi-même de ses ornières et l’autre des siennes.
  • C’est au sein des civilisations les plus avancées que le risque de barbarie est le plus grand.
  • L’injonction à devenir un « bon citoyen » a supplanté celle d’être un « bon chrétien ».

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