Critique – Mémoire de fille – Annie Ernaux – Gallimard

Critique – Mémoire de fille – Annie Ernaux – Gallimard


1958, une colonie de vacances dans l’Orne.

Pour Annie D., monitrice le temps d’un été, c’est la première expérience de la liberté, l’occasion de quitter la petite ville d’Yvetot, d’abandonner pour un temps sa condition de fille d’épicier. A 18 ans, la fille sage a envie que son corps exulte. Elle en trouvera l’occasion dans les bras de H., un type brutal qui profite de la situation. A la satisfaction d’avoir été déflorée s’oppose sa condamnation par l’entourage. Le mépris est teinté de méchanceté et de cruauté. La honte ne viendra de façon évidente que plus tard. En attendant, le corps réagit. Annie souffre d’aménorrhée, elle maigrit et est prise dans la toile morbide de l’anorexie-boulimie.

Plus de cinquante après, les faits ne sont pas oubliés. Bien au contraire. Et c’est là l’intérêt de ce court texte : reconstruire/déconstruire la fille que Annie E. a été alors que la mémoire déforme forcément la réalité et s’interroger, d’une manière très proustienne, sur l’interprétation des souvenirs.

Je est un autre écrivait Rimbaud. L’auteure des Années pourrait dire Je est tout le monde. Son message est universel. Il nous raconte un peu de notre histoire, nous rend vivants et humains.

EXTRAITS

  • Ce n’est pas à lui qu’elle se soumet, c’est à une loi indiscutable, universelle, celle d’une sauvagerie masculine qu’un jour ou l’autre il lui aurait bien fallu subir. Que cette loi soit brutale et sale, c’est ainsi.
  • Je ne construis pas un personnage de fiction. Je déconstruis la fille que j’ai été.
  • En ce moment même, dans les rues, les open spaces, le métro, les amphis, des millions de romans s’écrivent dans les têtes, chapitres, effacés, repris et qui meurent tous, d’être réalisés ou de ne pas l’être.
  • Comment sommes-nous présents dans l’existence des autres, leur mémoire, leurs façons d’être, leurs actes même ? Disproportion inouïe entre l’influence sur ma vie de deux nuits avec cet homme et le néant de ma présence dans la sienne.
  • J’ai commencé à faire de moi un être littéraire, quelqu’un qui vit les choses comme si elles devaient être écrites un jour.
  • C’est l’absence de sens de ce que l’on vit au moment où on le vit qui multiplie les possibilités d’écriture.
  • Explorer le gouffre entre l’effarante réalité de ce qui arrive, au moment où ça arrive et l’étrange irréalité que revêt, des années après, ce qui est arrivé.

+ There are no comments

Add yours