Critique – Des vies à découvert – Barbara Kingsolver – Rivages

Critique – Des vies à découvert – Barbara Kingsolver – Rivages


La famille Knox vient de s’installer à Vineland, New Jersey, dans une vaste maison, un héritage qui s’avère empoisonné. Nous sommes en 2016 et, alors que crise économique sévit toujours, les Américains s’apprêtent à élire leur Président, représentant des bons petits blancs qui entendent bien prendre leur revanche sur les années Obama.

La cinquantaine venue, Willa fait le bilan de sa vie. Journaliste au chômage et mariée à un prof sous-payé, Iano, le beau Grec joyeux, elle est passée à côté du rêve américain qui consiste, comme chacun le sait, à s’enrichir. Leur fille de 26 ans Antigone, alias Tig, vit toujours avec eux et un bébé hurleur, fils de leur aîné, veuf depuis peu, débarque dans leur foyer. Sans oublier l’inénarrable Nick, père de Iano, archétype de l’électeur trumpien et éternel râleur malgré ses multiples maladies qui le clouent dans un fauteuil.

La situation financière du clan est telle que les réparations urgentes qu’exige leur nouvelle demeure devront attendre. Bref, tout part à vau-l’eau et Willa la déprimée, toujours hantée par la mort de sa mère, se sent responsable de cet « échec » collectif.

Cent cinquante ans plus tôt, toujours à Vineland, Thatcher vit avec Rose, sa jeune et ravissante épouse avec laquelle il n’a aucun point commun, sa belle-mère et son impétueuse belle-soeur. A part la maison dont elles sont propriétaires mais qui menace de s’effrondrer, ces dernières sont ruinées. Thatcher enseigne les sciences naturelles au lycée et entend bien diffuser les théories de Darwin auprès de ses élèves. Contre le directeur de l’établissement et contre Charles Landis, le fondateur tyrannique de Vineland, qui trouvent « la vérité à travers Dieu ».

Désoeuvré, Thatcher fait la connaissance de sa voisine, Mary Treat, une entomologiste et botaniste qui a réellement existé et que son mari vient de quitter pour une autre. Leurs solitudes et leurs convictions sur la sélection naturelle vont les rapprocher.

Avec ce voyage dans le temps, Barbara Kingsolver fait le portrait de deux Amériques. Celle où la science s’oppose à l’obscurantisme religieux. Et celle qui se prépare à introniser Trump où le racisme est presque un réflexe tellement il est ancré dans les consciences, où même les membres de la classe moyenne font la course au Graal qu’est l’assurance-maladie sans laquelle vous pouvez crever comme un chien, où les étudiants s’endettent jusqu’au cou et où le dérèglement climatique et la pollution, contre lesquels se bat la fougueuse et colérique Tig que sa mère va apprendre à connaître, soulignent l’urgence de changer nos modes de vie.

Via les figures de deux femmes, Willa et Mary, dont l’une veut protéger sa famille en sauvant sa maison, une mission libératrice qui la plongera dans le passé, et l’autre défendre sa croyance dans le savoir et son indépendance, l’auteure a composé une œuvre pleine de charme, d’humour et d’intelligence dans l’appréhension du monde tel qu’il fut et tel qu’il est.

Les personnages sont épatants et attachants et les dialogues, souvent décalés, sont savoureux. Malgré quelques longueurs, notamment dans les chapitres consacrés au XIXème, « Des vies à découvert » est un bonheur de lecture et une vraie découverte car je n’avais rien lu de Barbara Kingsolver.

EXTRAITS

  • Il voyait le monde divisé en deux camps, ceux qui cherchent la vérité et ceux qui l’édulcorent.
  • Quand les hommes craignent de perdre ce qu’ils connaissent, ils suivraient n’importe quel tyran qui leur promet de restaurer l’ordre ancien.
  • J’aurais aimé avoir une vie où on ne laisse pas derrière soi une traînée de morceaux cassés.

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