Critique – Là où nous dansions – Judith Perrignon – Rivages
Juillet 2013. La ville de Detroit est déclarée en faillite. Un « manager » est nommé pour redresser ses finances.
Il va raser des zones vétustes pour construire des immeubles chics destinés à accueillir la classe moyenne blanche exilée en banlieue. Parmi les victimes de cette gentrification, le Brewster Douglass Project dont la construction avait été inaugurée par Eleanor Roosevelt en 1935. Le programme immobilier était destiné à loger des familles afro-américaines.
Dans les années 1960 où Judith Perrignon, journaliste-écrivaine, nous entraîne en flashbacks, le quartier déborde de dynamisme : musical avec, entre autres, le groupe « The Supremes », fleuron de la Motown et industriel avec le secteur automobile fournisseur
d’emplois à une main d’oeuvre pléthorique.
Cinquante ans plus tard, tout a changé : la population a fondu et la drogue, la violence, les assassinats sont le quotidien des habitants qui restent, trop pauvres pour partir ou encore attachés à ce qui devait être un paradis et qui le fut le temps de quelques années. Après avoir été le symbole de la réussite, la ville est devenue l’emblème de l’échec.
Héroïne du récit, Detroit est incarné par ses habitants parmi lesquels Ira, flic d’élite né en 1959 réputé pour ses méthodes douces. Il a grandi dans la cité entouré de sa mère, de son père et de son oncle Archie. Il y a aussi Sarah, une policière blanche chargée de croiser le fichier des disparus avec celui des cadavres non identifiés. Elle passe ses journées à la morgue, un endroit qui en dit beaucoup sur la misère humaine. Elle est obsédée par le cadavre d’un garçon qu’elle surnomme Frat Boy et que personne ne réclame.
Tous entretiennent un rapport d’amour-haine avec leur ville abandonnée, ghettoïsée mais qui bouge encore grâce à l’énergie de ceux qui l’habitent, derniers Indiens d’un territoire oublié, nostalgiques d’une époque révolue mais magnifiée et qui pourrait renaître.
Detroit, si puissament et justement évoquée par Judith Perrignon, est l’allégorie de l’échec du rêve américain et du capitalisme sauvage qui exploite l’humain et la nature mais dont la rédemption est possible. Comme un pied de nez à ceux qui l’ont rayée de la carte.
Le livre a été dédié à Bilal Berreni, street artiste français tué à Detroit en 2013. « Parce qu’il était sur notre territoire » ont expliqué ses quatre jeunes meurtriers. Glaçant…
EXTRAITS
- Le point faible ici, c’est les pères.
- On dirait que la jeunesse écrase le vieux monde, ses pas de deux et ses codes raciaux, qu’elle résout tout en se trémoussant sur The Supremes.
- La ville est un immense circuit de production, elle ne répond à aucune esthétique, à aucune question, à aucun rêve humain.
- Il n’y a que des trous là où il y a eu leur vie.
- La ville a tout d’une vieille dame qui hésite entre l’effondrement et la résurrection.
- Les bulldozers ont bien travaillé. Raclé le sol, et peut-être aussi nos âmes.
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