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Critique – J’emporterai le feu – Leïla Slimani – Gallimard
Dernier volume de la trilogie « Le Pays des autres », « J’emporterai le feu » poursuit son introspection familiale en se concentrant sur les Daoud.
Aïcha, la mère, est la fille de Mathilde, la robuste alsacienne qui a quitté la France pour lier son destin à Amine. Elle est mariée à Mehdi, patron d’une banque. Malgré son métier qui l’accapare, elle est dévouée à ses deux filles, Mia et Inès, nées dans les années 1980.
Celles-ci vivent dans un cocon, protégées d’une société marocaine qui se radicalise sous la pression des islamistes.
Dans ce milieu privilégié, on boit, on fume, on lit des auteurs occidentaux, on parle la langue de Molière et on ne fait évidemment pas le ramadan. Mais à l’extérieur, on fait profil bas. C’est l’hypocrisie à tout-va…
Les filles font des études en France : de finance pour l’aînée, de médecine, dans le sillage de sa génitrice, pour Inès.
Les filles ont une libido débridée, avec les femmes pour Mia, avec les hommes pour la cadette qui a trouvé chez sa grand-tante un modèle de séduction et de liberté sexuelle.
Leur affranchissement des normes de leur pays natal les rend presque étrangères à celui-ci. Mais au pays des Lumières, même si on parle français sans accent, on reste différent, exotique, subissant la condescendance des « souchiens » vantant le sens de l’accueil des Marocains, comme si ceux-ci n’existaient que pour servir les hordes de touristes.
Comment se construire quand on est écartelé entre deux cultures et qu’aucune d’entre elles ne vous reconnaît ? C’est l’enjeu de ce récit qui n’apporte pas de réponses définitives.
Aux côtés du trio féminin formé par Aïcha et les sœurs, le personnage de Mehdi est, je trouve, le plus attachant.
Issu d’un milieu modeste, son ambition qu’on pourrait prendre pour de l’orgueil doublée d’une franchise plutôt mal vue dans un environnement où règne la tartufferie va lui attirer des inimitiés.
La chute sera dure pour celui qui sera accusé à tort de malversations et qui mourra d’un cancer avant d’avoir su qu’il avait été blanchi.
C’est à ce père mystérieux, fan de football et amoureux des mots, que Leïla Slimani a édifié un tombeau littéraire touchant.
Si « J’emporterai le feu » se lit avec plaisir et facilité grâce à une construction impeccable, je suis, comme pour le deuxième opus de la trilogie, un peu restée sur ma faim.
Peut-être trop exigeante avec l’autrice du très réussi « Chanson douce », j’ai trouvé qu’il manquait au récit un souffle romanesque et que le propos était parfois un peu trop didactique, l’écrivaine voulant à tout prix évoquer les thèmes qu’elle affectionne.
EXTRAITS
- La liberté […] est une mémoire du corps, des muscles, un mouvement.
- Je me suis mise à les haïr, ces livres qui m’ont tenue à distance de la vie. De l’amour. Qui m’ont emmurée dans les mots.
- Ils étaient condamnés à vivre dans une sorte de purgatoire, pris en étau entre la haine des islamistes et l’ignorance des Occidentaux. […] « Peut-on aimer un pays qui ne nous aime pas ? Peut-on à la fois être d’ici de là-bas ? »
- Il mourut pas politesse.
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