Critique – Les ailes collées – Sophie de Baere – JC Lattès

Critique – Les ailes collées – Sophie de Baere – JC Lattès


Nous sommes le 17 mai 2003, le jour du mariage de Paul et d’Ana dont le ventre rond annonce une naissance prochaine.

Au milieu des invités une surprise attend l’époux. Joseph Kahn est « à côté de lui, il est là ». Cette présence le renvoie à ses années d’adolescence qu’il n’a en réalité jamais oubliées.

Paul grandit en Bretagne dans une maison bourgeoise entre un père absent et volage, une mère qui noie sa dépression dans l’alcool et une petite sœur qu’il tente de protéger d’une vie familiale délétère.

Alors qu’il fantasme sur Jennifer Hart, héroïne de la série américaine télévisée « Pour l’amour du risque » que les moins de 50 ans ne doivent pas connaître, et qu’il se rêve en Travolta « beau, musclé, élégant », il rencontre Joseph, son exact opposé et un « drôle de garçon » qui se moque du qu’en-dira-t-on à l’âge où le jugement des pairs est si important. Grâce à son nouvel ami, Paul s’épanouit. Il en oublie son bégaiement et ses complexes. « Enfin, il déployait ses ailes » écrit Sophie de Baere.

Le rendez-vous estival se poursuit à la rentrée sur les bancs du collège et l’amitié se mue en passion charnelle. Mais dans le monde cruel de l’adolescence, l’homosexualité est considérée comme une tare. C’est le plus fragile des deux qui va en subir les conséquences en devenant le souffre-douleur de ses « camarades ». Ses parents, empêtrés dans leurs petites vies, sont imperméables à sa souffrance. Chez les bourgeois, il faut donner le change.

Avec subtilité et justesse, mais sans masquer la violence des événements, Sophie de Baere a composé, dans une plume qui exprime parfaitement la confusion des sentiments et les affres de « l’âge ingrat », un magnifique récit sur l’ambiguïté de l’amour, celui qu’on éprouve envers une personne indépendamment de son sexe, ce désir transgressif qui échappe à la norme et effraie ceux qui ne le comprennent pas. Et souvent la peur de l’autre engendre la haine, une haine qui se plaît à souiller la pureté d’un amour absolu et différent.

En épilogue de son second roman, l’autrice rappelle que, « en France, quelque 700 000 élèves sont victimes de harcèlement scolaire », une violence qui s’exerce « particulièrement envers les personnes LGBT ». C’est aussi pour cette raison que « Les ailes collées » (quel joli titre) est une lecture nécessaire, notamment pour les parents aveugles au mal-être de leurs filles et fils et qui entretiennent les non-dits.

Car, comme l’écrivait Marguerite Duras, « il reste toujours quelque chose de l’enfance, toujours… ».

Merci à Version Femina pour ce livre offert dans le cadre du « Coup de cœur des lectrices » de février 2022 dont je recommande vivement la lecture.

EXTRAITS

  • On doit avoir l’air heureux quand on est beau et riche.
  • En quelques jours, Paul apprit ce qu’est la cruauté. Celle qui dissout lentement l’être et lui instille l’envie de crever.
  • Paul comprit qu’il aimait ce garçon. Il l’aimait de cet amour qui donne la fièvre, met le ventre en boule et fait mourir.
  • Ce devait être ça les chagrins d’amour, une envie permanente de mourir qui ne vous tue pas.
  • En cet instant, Paul saisit qu’il n’aurait besoin que de la bouche de ce garçon pour embrasser toutes les bouches. En cet instant, il avait déjà tout trouvé, tout éprouvé. Tout aimé.
  • Contrairement à ce qu’il croyait, Paul n’aimait pas les garçons. Il n’avait aimé que Joseph Kahn.
  • Pourtant, encore aujourd’hui, Paul porte son enfance comme une blessure sous la carcasse.

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